La note de tabac en parfumerie est une véritable invitation au voyage, marquant de son empreinte l’histoire des fragrances depuis des siècles. Du tabac blond doux et miellé au tabac brun intense et cuiré, chaque variété offre une richesse de nuances qui continue d’inspirer les parfumeurs contemporains. Régulée strictement par l’IFRA pour garantir la sécurité des consommateurs, la note de tabac est désormais largement utilisée tout en respectant les normes environnementales et éthiques. Cet article explore l’histoire de la note de tabac en parfumerie, ses méthodes d’extraction, ses facettes olfactives et son utilisation dans des parfums emblématiques, offrant des découvertes sensorielles à travers cette matière première intemporelle.
Origine botanique et géographique du tabac
Le tabac, principalement des espèces Nicotiana Tabacum et Nicotiana Rustica appartient à la famille des Solanacées. Cultivé par les peuples autochtones d’Amérique depuis des millénaires, il a été introduit en Europe au XVIe siècle par les explorateurs européens, gagnant rapidement en popularité comme plante médicinale puis récréative.
Nicotiana Tabacum, originaire d’Amérique du Sud (notamment de Bolivie et du Paraguay), est la plus cultivée pour sa large feuille riche en nicotine, idéale pour les cigarettes et cigares.
Nicotiana Rustica, plus robuste et avec une teneur en nicotine plus élevée, est cultivée dans les régions froides et montagneuses d’Amérique du Nord et du Sud.
La culture du tabac est aujourd’hui mondiale, avec des régions productrices clés sur plusieurs continents. Elle nécessite un sol riche, bien drainé, et un climat tropical ou subtropical avec des précipitations suffisantes. Les principales zones de culture incluent l’Amérique Centrale et du Sud, les États-Unis (notamment la Caroline du Nord et le Kentucky), l’Inde, la Chine, et certaines régions d’Afrique comme le Zimbabwe.
La diversité géographique influence les caractéristiques des feuilles de tabac. Par exemple, le tabac cubain est réputé pour ses feuilles aromatiques, prisées pour les cigares haut de gamme, tandis que le tabac de Virginie, plus doux, est souvent utilisé dans les mélanges pour cigarettes.
Histoire et utilisation en parfumerie
Cultivé par les peuples autochtones d’Amérique depuis des millénaires. Les peuples amérindiens utilisaient le tabac lors des rituels de purification et pour implorer leurs dieux, ainsi que comme plante médicinale.
En 1492, Christophe Colomb découvre que les Indiens fument une plante appelée « petum » de diverses manières: en inspirant une fumigation, en calumets, ou encore en mastication des feuilles ou inhalation de poudre (tabac à priser).
Il a été introduit en Europe au XVIe siècle par les explorateurs européens, gagnant rapidement en popularité comme plante médicinale puis récréative. C’est Jean Nicot (origine du mot nicotine ;), ambassadeur de France au Portugal où on le cultive pour ses vertus médicinales, qui en envoie quelques feuilles à Catherine de Médicis pour soigner ses migraines en le prisant. “L’herbe à la reine, appelée aussi la “catherinaire”, provoque un engouement à la cour et s’exporte dans toute l’Europe.
D’abord utilisé pour ses vertus médicinales et récréatives avant d’être apprécié pour ses qualités olfactives, au XVIIIe siècle, le tabac infusé devient un symbole de sophistication dans les salons aristocratiques.
Au XIXe siècle, l’industrialisation et la popularité des cigares propulsent le tabac comme matière première en parfumerie, avec des artisans français intégrant des accords de tabac aux nuances boisées et cuirées.
Pendant les Années Folles, après la 1ère guerre mondiale, la femme ayant travaillé à l’usine pendant que les hommes étaient au front, s’est émancipée. Elle travaille, fume, porte des pantalons et le cheveu à la garçonne. Son parfum, comme sa coiffure la démarque des autres femmes, et elle ose les notes traditionnellement associées aux hommes comme les notes cuir, tabac, vétiver: Tabac Blond de Caron (1919), Cuir de Russie de Chanel (1928), Habanita de Molinard (1921) appelé « parfum pour cigarette » car la force de son sillage en atténuait l’odeur. Elles le glissaient sous forme de sachets dans leurs paquets de cigarette.
Puis la mode passera et reviendra dans les années 80 avec les chyprés masculins intenses, puis, à la fin du XXème et début du XXIème siècles par la parfumerie niche.Le XXe siècle voit l’essor de la parfumerie moderne grâce à des méthodes d’extraction avancées et à l’introduction de composés synthétiques, permettant d’isoler des arômes précis du tabac. Aujourd’hui, le tabac est utilisé dans une gamme variée de compositions, allant des parfums masculins classiques aux créations unisexes et féminines.
L’IFRA et la matière première tabac
L’International Fragrance Association (IFRA) régule strictement l’utilisation du tabac en parfumerie en raison de composés potentiellement cancérigènes comme les nitrosamines. Pour respecter ces réglementations tout en conservant les caractéristiques olfactives du tabac, les parfumeurs utilisent des alternatives synthétiques qui imitent ses arômes complexes sans les risques associés aux extraits naturels.
Ces molécules offrent une stabilité et une qualité constantes, essentielles pour la production industrielle. Les directives de l’IFRA définissent les concentrations maximales de certaines substances, garantissant la sécurité des consommateurs et la conformité réglementaire. Ainsi, l’innovation et le développement d’alternatives synthétiques sont essentiels pour préserver l’essence du tabac en parfumerie.
Méthodes d’extraction du tabac en parfumerie
Les méthodes d’extraction du tabac en parfumerie permettent de préserver la richesse de cette matière première. Voici les techniques les plus pertinentes :
Extraction par solvant volatile
L’extraction par solvant volatil utilise des solvants organiques comme l’hexane pour dissoudre les composés aromatiques des feuilles de tabac. Après évaporation du solvant, une concrète est obtenue, puis traitée à l’éthanol pour éliminer les cires, produisant une absolue de tabac. Cette méthode offre un extrait concentré avec des notes miellées, boisées et ambrées.
Distillation à la vapeur
La distillation à la vapeur consiste à faire passer de la vapeur d’eau à travers les feuilles de tabac, libérant les composés aromatiques. La vapeur est ensuite condensée pour séparer l’eau et l’huile essentielle. Cette technique préserve les notes fraîches et herbacées du tabac, idéales pour équilibrer les compositions parfumées.
Extraction au CO2 Supercritique
L’extraction au CO2 supercritique utilise du dioxyde de carbone sous haute pression pour extraire les arômes du tabac. Cette méthode est respectueuse de l’environnement et n’utilise pas de solvants toxiques. Elle permet d’obtenir des extraits de haute pureté avec des profils olfactifs complexes et fidèles à la matière première d’origine.
La note de tabac synthétique en parfumerie
La note de tabac synthétique offre une alternative pertinente et stable aux extraits naturels. Les molécules synthétiques, comme l‘isobutylquinoléine pour des notes cuirées et les lactones de tabac pour une douceur miellée, surmontent les limitations de qualité et d’impact environnemental des matières premières naturelles. Elles permettent aussi des accords innovants et répondent à la demande de produits véganes et éthiques, permettant aux parfumeurs de créer des fragrances sophistiquées tout en respectant les enjeux environnementaux et sociétaux.
Types de tabac utilisés en parfumerie
Le tabac blond : Issu de Nicotiana tabacum, séché à l’air chaud, cultivé en Virginie, il offre des notes douces, miellées et fruitées, apportant chaleur et confort aux parfums.
Le tabac brun : Séché à l’air ou au feu, cultivé au Kentucky et en Afrique, il présente des arômes robustes, terreux, cuirés et épicés, ajoutant profondeur et sophistication.
Le tabac vert : Séché rapidement après récolte, il conserve des notes fraîches et herbacées, ajoutant une touche vivante et naturelle, souvent associé à des accords floraux ou aromatiques.
Facettes olfactives de la note de tabac
La note de tabac, que l’on classe généralement dans la famille olfactive des boisés est riche et complexe, offrant une multitude de facettes olfactives.Voici quelques-unes des facettes les plus courantes :
Facette Cuirée : Notes de tabac brun évoquant les peaux tannées, apportant sophistication.
Facette Miellée : Douceur du tabac blond rappelant miel, fleurs séchées et fruits mûrs, idéale pour les parfums orientaux et floraux.
Facette Épicée : Nuances de clou de girofle, cannelle et muscade, apportant chaleur et complexité, souvent utilisées dans les parfums boisés et orientaux.
Facette Ambrée :notes balsamiques et résineux, riches et sensuels, se mariant bien avec vanille, patchouli et labdanum.
Facette Fumée : Notes de tabac séché au feu rappelant feux de bois et cigares, ajoutant une touche rustique et mystérieuse.
Parfums Iconiques avec Note de Tabac
Tabac Blond de Caron créé en 1919 par Ernest Daltroff (plusieurs fois reformulé), est une fragrance qui incarne l’élégance et la sophistication des années 1920. Conçu initialement pour les hommes, ce parfum est un hommage à l’indépendance et à l’audace des femmes modernes de l’époque. La fragrance s’ouvre sur des notes fraîches et pétillantes de néroli, de bergamote et de citron, offrant une envolée lumineuse et vivifiante. Le cœur floral se déploie avec l’iris poudré, l’ylang-ylang exotique et l’œillet épicé. Puis le fond est enveloppant, dominé par le tabac doux presque sucré, un cuir chaud et une vanille crémeuse, apportant une profondeur et une sensualité intemporelles. Aujourd’hui, pour accompagner son emblématique Tabac Blond, la maison Caron a lancé sa collection “Les beaux tabacs” offrant des fragrances exaltant le tabac sous différentes facettes: le lumineux “Tabac blanc”, le gourmand “Tabac Exquis”, et le chaleureux “Tabac noir”.
Chergui de Serge Lutens créé en 2001 par Christopher Sheldrake, est un parfum oriental épicé où le tabac joue un rôle central. Il s’ouvre sur des notes de tabac mêlées à du miel et des épices. Le cœur dévoile des accords de foin, de musc et de bois de santal, tandis que le fond riche en ambre et encens apporte une profondeur sensuelle.
Pure Havane de Mugler, créé en 2011 par Jacques Huclier. Pure Havane est une ode aux cigares cubains, avec des notes de tabac richement enveloppées de miel. Le parfum s’ouvre sur des accords de tabac et de vanille, suivis par un cœur où se mêlent cacao, fève tonka et patchouli. Le fond est boisée et ambrée, créant une aura envoûtante.
Volutes de Diptyque créé en 2012 par Fabrice Pellegrin. Volutes est inspiré par les voyages en bateau à vapeur des années 1930. Le parfum combine des notes de tête de tabac, miel, et fleur d’iris avec des fruits secs. Le cœur épicé comprend du foin, de l’immortelle, et du safran, tandis que le fond résineux de myrrhe, d’opoponax et de benjoin se fait profond.
Jazz Club de Maison Margiela créé en 2013 par Alienor Massenet, évoque l’ambiance feutrée et enfumée d’un club de jazz. Les notes de tête sont dominées par le citron et le poivre rose, suivies par un cœur où le tabac se mêle au rhum et à la vanille. La fragrance est portée par de la fève tonka, du styrax et du vétiver, créant une sensation chaleureuse d’élégance.
Tobacco Honey de Guerlain créé en 2014 par Delphine Jelk et Thierry Wasser, est une composition gourmande et enveloppante où le tabac et le miel jouent les rôles principaux. Les notes de tête de miel qui se fait encaustique et de tabac profond se fondent dans un cœur floral et épicé, avec des nuances de rose et de cannelle. Le fond est riche et balsamique, avec des accents de vanille et de musc.
Tabac Tabou de Parfum d’Empire créé en 2015 par Marc-Antoine Corticchiato. La fragrance est un hommage au tabac sacré et à ses arômes puissants. Le parfum débute avec des notes végétales et herbacées, évoluant vers un cœur de tabac narcotique, miellé, adouci par des accents de fleurs blanches. Le fond est boisée et résineuse, avec une touche cuirée animale.
Spicebomb Extrême de Viktor & Rolf créé en 2015 par Olivier Polge. Spicebomb Extrême est une version intense et épicée de la fragrance originale. Le parfum s’ouvre sur des notes explosives de poivre noir et de cannelle, suivies par un cœur où le tabac joue le rôle principal, enveloppé de vanille et de cumin. Le fond est puissant et balsamique, avec des notes de fève tonka et de bois.
Smoke d’Akro créé en 2018 par Olivier Cresp. Smoke d’Akro évoque l’essence enivrante de la fumée et du tabac. L’ouverture avec le bouleau apporte une note boisée et résineuse, rappelant un feu de camp. Le cœur, composé de genièvre et de benjoin, ajoute une fraîcheur aromatique et une douceur balsamique. La base riche de tabac, fève tonka et patchouli crée une profondeur chaude et terreuse, enveloppante et légèrement sucrée.
5 The Guardian Master de Spiritum créé en 2020 par Philippe Paparella-Paris, est une composition sophistiquée et nuancée. L’envolée est épicée de cardamome, de poivre et de curcuma, évoluant rapidement vers un cœur riche et complexe de tabac envoûtant, soutenu par des accords de miel, de jasmin suave et de bois de cèdre. Le fond est profond et résineux, énergétique, avec des touches de cuir, de vanille et de vétiver, offrant une expérience olfactive de puissance et d’intensité addictive.
La note de tabac, avec ses multiples facettes et sa riche histoire, continue de séduire les créateurs et les amateurs de haute parfumerie. Sa capacité à provoquer des ambiances chaleureuses et sophistiquées en fait une matière première précieuse et intemporelle. Alors que l’art de la parfumerie évolue, la note de tabac demeure une source d’inspiration inépuisable, promettant encore de nombreuses créations olfactives enivrantes à venir. Pour les passionnés de parfums, découvrir les nuances du tabac, c’est partir à la rencontre d’une histoire riche et complexe, où chaque facette raconte une histoire profonde et charismatique.
Article co-écrit par Elfa et Anne-Laure Hennequin