L’iris en parfumerie
On le surnomme “la pépite du parfumeur” ou encore “l’or bleu de la parfumerie”… Faites place à l’iris. Si vous avez déjà senti un parfum décrit comme “poudré”, il y a des chances que vous ayez croisé la route de la jolie fleur bleue violacée, ou plutôt, de son rhizome, sa tige souterraine dont on obtiendra le riche absolu. Master Parfums vous emmène à la rencontre d’un des ingrédients les plus prestigieux du monde olfactif.
L’iris à travers les âges
En grec, la racine du mot iris signifie à la fois “arc-en-ciel” et “messager”, et pour cause : dans la mythologie grecque, Iris est la messagère des dieux changeant son écharpe multicolore en un pont arc-en-ciel reliant la terre et l’au-delà, délivrant ainsi des messages divins aux mortels. Chez les Égyptiens pour qui il est une fleur sacrée, l’iris s’invite dans des peintures au sein de pyramides dont certaines datent de 1500 avant J.C.
En France, l’époque de Clovis voit l’iris fleurir comme le symbole de la royauté lorsque le roi des Francs en fait son emblème. Au fil du temps, une confusion linguistique transforme son surnom “fleur de Louys” (en référence à Louis Iᵉʳ) en “fleur de Lys”. Eh oui, la fleur de lys était à l’origine une fleur d’iris des marais de couleur jaune !
Côté parfum, on trouve déjà des traces d’utilisations d’iris à l’Antiquité. Au Moyen Âge, de la poudre d’iris est placée dans des sachets servant à parfumer les armoires. Arrivés à la Renaissance, il faut remercier Catherine de Médicis pour avoir importé dans l’Hexagone de nombreuses modes italiennes. Il semblerait qu’elle soit derrière la popularisation de l’iris comme produit parfumé. À cette époque, les poudres de beauté font fureur : il s’agit de poudre de riz à laquelle on a incorporé des rhizomes d’iris pilés et tamisés. C’est de là que vient le terme “poudré” que l’on utilise si souvent pour décrire la texture olfactive de l’iris !
La note poudrée en parfumerie
On parle beaucoup de vanille poudrée, mais attention, une note poudrée de vanille et une note poudrée d’iris sont très différentes : la première nous emmène en terrain plus gourmand alors que la seconde est sèche et aérienne, un tantinet boisée. Elle évoque des tons pastel et nous rappelle souvent la violette… Cela est dû à la présence d’un composé chimique appelé l’irone.
La fragrance de l’iris est aussi raffinée que tenace : loin de s’estomper avec le passage du temps comme d’autres matières parfumées, l’iris, lui, persiste comme un voile poudré indélébile. On peut avoir l’impression de peu le sentir sur peau car son parfum intime est fait pour être senti de près par les gens que l’on aime et qui nous aiment. Un vrai parfum de peau…
Aperçu botanique
L’iris est une plante vivace de la famille des iridacées originaire d’Extrême-Orient et dont la parfumerie exploite le rhizome, sa tige souterraine. Ses principaux producteurs sont actuellement l’Italie et le Maroc. Bien qu’il existe plus de 210 espèces d’iris dans la nature, celles que les parfumeurs s’arrachent sont au nombre de deux : l’iris pallida et l’iris germanica.
Emblème de la ville de Florence, l’iris pallida des flancs escarpés de Toscane est le plus convoité et par conséquent le plus cher. L’iris germanica est quant à lui principalement produit au Maroc dans les vallées de l’Atlas. Si sa robustesse le rend plus facile à cultiver, en contrepartie, il bénéficie de moins de prestige que l’iris pallida.
Avis aux impatients : il faut compter pas moins de six ans entre la plantation de l’iris et sa mise en flacon.
La production d’iris
Le rhizome doit rester 3 ans sous terre pour atteindre la maturité. Après avoir été cueillis à la main, les rhizomes sont nettoyés, ébarbés, et coupés au couteau toujours manuellement. Puis, ils sont nettoyés puis séchés, et direction la chambre de ventilation pendant trois jours. Ils doivent commencer par perdre au moins 60% de leur eau, sinon, de vilaines moisissures risquent de s’y installer. Mais ça ne s’arrête pas là : après la récolte, rebelote, les rhizomes sont disposés ensuite sur des sacs de jute ou dans des bacs où ils vont rester à sécher encore trois années supplémentaires. Il faut patienter trois années le temps de mener à bien le procédé de dessiccation, une élimination de l’eau très poussée.
Au début, les rhizomes ne sont guère bavards, leur odeur ne rappelant que vaguement celle de la pomme de terre. Ce n’est qu’au terme de deux à trois ans de séchage que l’irone s’y est installé durablement. Un autre facteur qui rend l’iris germanica moins luxueux que l’iris pallida est que son taux d’irone est plus faible, car ses rhizomes sont généralement séchés deux ans au lieu de trois… parfois moins !
Les matières parfumées issues de l’iris
L’iris pallida et l’iris germanica peuvent livrer une huile essentielle par distillation à la vapeur d’eau, une huile que l’on appelle “beurre d’iris” car en réalité, elle ne reste pas liquide longtemps : à température ambiante, elle se solidifie et prend une consistance beurrée. Ce beurre est floral, boisé et bien sûr, poudré. Il peut même lui arriver de prendre des airs de framboise.
Lorsqu’il est traité une seconde fois à la macération dans un solvant, on obtient un magnifique absolu d’iris, encore plus concentré en irone. Dans le beurre, la concentration en irone est de 10% à 35% tandis que dans l’absolu, elle se situe entre 65% et 85%.
L’absolu d’iris possède des facettes encore plus intenses et boisées et rappelle parfois le mimosa ou la carotte. D’ailleurs, l’essence de carotte est souvent l’alliée des parfumeurs lorsqu’il s’agit d’appuyer, voire de remplacer une sensation irisée.
Il y a aussi l’extraction au solvant volatil qui permet d’obtenir un résinoïde là encore boisé mais aussi cacaoté et quelques fois fruité, contenant entre 1% et 3% d’irone. En parfumerie on distingue l’Iris blanc, le plus pur, dont le rhizome a été pelé avant de secher entier, de l’iris noir, qui n’a pas eté pelé mais tranché avant de secher. Son odeur est plus boisée.
Il faut 1 tonne de rhizomes pour 1 kilo de beurre d’iris et pas moins de 15 kilos de beurre pour un unique kilo d’absolu. Le temps de production de l’iris et sa faible rentabilité ont un coût : il est l’une des matières les plus onéreuses de la parfumerie. Si le beurre vaut entre 10 000 et 15 000 euros le kilo, tenez-vous bien : le prix d’un kilo d’absolu peut grimper jusqu’à 100 000 euros.
Quelques exemples de parfums autour de l’iris
Au début du XXᵉ siècle, l’iris se popularise alors que de grands noms de la parfumerie commencent à l’intégrer à leurs fragrances. Aujourd’hui, les parfums le mettant en lumière abondent, et l’on retrouve souvent l’iris au centre d’un bouquet de fleurs comme note de cœur ou en note de fond. Voici quelques fragrances renfermant le précieux “or bleu” :
- L’un des tout premiers parfums à l’iris est Vera-Violetta (1894) de Roger & Gallet, alliant l’iris et la violette.
- Après L’Ondée (1906) de Guerlain est un floral-ambré avec une touche d’anis.
- Toujours chez Guerlain, L’Heure Bleue (1912) donne des accents épicés à un sublime bouquet de fleurs.
- L’incontournable N°19 (1970) de Chanel est quant à lui suave, vert et boisé.
- Dans Iris Silver Mist (1994) de Serge Lutens, une note de graine de carotte soutient un iris plus chaud accompagné de musc, de bois de santal et d’encens.
- Le somptueux Hiris (1999) d’Hermès est le tout premier soliflore iris de la parfumerie (un soliflore étant une fragrance mettant à l’honneur un ingrédient particulier).
- En 2003, Serge Lutens fait de nouveau la part belle à l’iris avec Clair de Musc, cette fois de façon plus légère et poudrée.
- Avec de la myrrhe en note de cœur, dans Bois d’Argent (2004) de Dior, l’iris se veut intense…
- …et dans cette lignée, Dior Homme (2005) révèle un iris mêlé à de chaudes notes d’ambre et de cacao.
- Dans la discrète Infusion d’Iris (2007) de Prada, un iris pudique se mêle à du vétiver, du cèdre et de l’encens, ainsi qu’à une pointe sensuelle de benjoin.
- Iris Ganache (2007) de Guerlain est plus gourmand : l’iris y rencontre le patchouli, mais aussi le chocolat blanc, la cannelle et la vanille.
- Muscs et iris se marient dans l’envoûtante huile de parfum Musc Pallida (2018) d’Hermès.
- Chez le petit nouveau de la parfumerie de niche Maison Crivelli, Iris Malikhân (2020) associe le beurre d’iris à une vanille cuirée.
Après l’iris, il y a encore tant d’autres ingrédients de la parfumerie à découvrir… Et si vous essayiez Pocket Quiz, le jeu de Master Parfums pour creuser votre culture générale du parfum tout en vous amusant ?