Le muguet, une fleur pas si muette que ça ?
Le muguet a longtemps refusé de prêter sa fragrance aux parfumeurs. Mais est-il réellement une “fleur muette” ? Certains se sont lancé le défi de lui faire cracher le morceau… Pari réussi pour la maison nantaise AB 1882 et la société d’huiles essentielles Le Sourceur. Le 25 mai 2022, pour la première fois, un absolu de muguet a été obtenue de façon naturelle à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu.
Il s’agit d’une véritable révolution pour la parfumerie et pour le milieu maraîcher simultanément, car à grande échelle, cette utilisation du muguet permettrait de le valoriser pour qu’il ne soit plus uniquement star d’un jour, chaque 1er mai.
Pour récolter la précieuse essence, le procédé ancestral de l’enfleurage a été remis au goût du jour. Gourmand en temps et en ressources, il avait cessé d’être utilisé aux alentours de 1930.
L’enfleurage, quésaco ?
Les délicates clochettes des maraîchers Jean-François et Charles Vinet ont été minutieusement sélectionnées, coupées et disposées par des bénévoles sur des cadres enduits de graisse végétale. Pendant onze jours, les fleurs ont été quotidiennement remplacées pour garantir leur fraîcheur. Résultat : les graisses végétales se sont retrouvées saturées de molécules odorantes. “C’est comme le beurre dans le réfrigérateur qui peut prendre l’odeur de certains aliments”, explique Marielle Ravily, ingénieure chimiste et cofondatrice d’AB 1882.
Ensuite, passage au bain-marie pour les graisses qui ont été liquéfiées et agrémentées d’huiles essentielles et d’alcool, ce dernier permettant de faire tenir les molécules parfumées. Une fois l’alcool distillé, un rare absolu de muguet s’est alors révélé pour la première fois.
Faire briller le muguet à travers l’artisanat
Si ce procédé est bien plus long et coûteux que celui de la synthèse du muguet par la chimie (pas moins de 50 000 brins de la fleur ont été utilisés !), c’est aussi une forme d’artisanat qui fait bien plus honneur à la senteur de la clochette. Car si les parfumeurs ont l’espoir de créer un parfum au muguet bien réel, ils ne veulent pas pour autant dénaturer la fleur, bien au contraire : il s’agit de magnifier sa douce fragrance naturelle.
Non sans avoir grandement éveillé l’intérêt d’autres parfumeurs à l’idée de pouvoir enfin travailler avec cette belle matière première, AB 1882 et Le Sourceur tâchent maintenant de mettre la main sur le meilleur absolu de muguet afin d’en décupler la production.
Et ensuite ?
La maison nantaise souhaite commercialiser son premier parfum au muguet dans le courant de 2024. D’ailleurs, c’est décidé : c’est à Bel été, un parfum formulé en 1926 par Alexis Biette (l’arrière-grand-père de Marie Giffo, directrice et co-fondatrice de la maison), que reviendra l’honneur d’être le premier parfum au muguet naturel de la marque… et du marché !
Si la fleur de mai a longtemps gardé sa langue dans sa poche, ce n’est vraisemblablement plus pour longtemps : les beaux jours du muguet naturel en parfumerie ne font que commencer.