Qu’est-ce que la parfumerie de niche ?
Du 6 au 9 mars prochain a lieu la 14ᵉ édition du salon Esxence. Chaque année, parfumeurs et marques, professionnels en tout genre du milieu de la parfumerie et public passionné se réunissent à Milan lors de ce rendez-vous immanquable de la parfumerie de niche. On l’appelle aussi haute parfumerie, parfumerie artistique, alternative, parfumerie confidentielle ou bien parfumerie de créateurs — chez Master Parfums, on fait le point sur cette branche de la parfumerie, ses origines et ses ambitions.
L’avant-parfumerie de niche
Le parfum a pendant longtemps été un objet de luxe et le marqueur d’un haut statut social. Mais à partir du XIXᵉ siècle, plusieurs événements vont changer la donne. Avec la révolution industrielle et les avancées de la chimie, l’artisanat et le sur-mesure s’effacent au profit de la production en masse. François Coty contribuera largement à la démocratisation de la parfumerie. Cette évolution affecte également le secteur de la mode. Mais si pendant la première moitié du XXᵉ siècle, des couturiers s’immiscent sur le marché du parfum, avec des précurseurs tel que Paul Poiret, Gabrielle Chanel ou Jeanne Lanvin, une fragrance reste encore un achat réservé aux plus fortunés.
Il faut attendre le lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour que la commercialisation de parfums par des maisons de couture reprenne et que des joailliers leur emboîtent le pas, avec l’ambition d’élargir le champ des classes sociales à pouvoir s’offrir une fragrance… et cela réussit ! On assiste alors aux premiers pas de ce que nous connaissons aujourd’hui comme la parfumerie de masse.
La parfumerie de masse ou le pendant mainstream de la parfumerie
La parfumerie de masse, ce sont les parfums créés par d’importantes marques du luxe et facilement trouvables dans les grands magasins. Pensez aux fragrances de Chanel, Dior, Lancôme, Dolce & Gabbana ou encore Givenchy, qui fourmillent sur les étagères des grandes chaînes de parfumeries comme Sephora, Marionnaud, Nocibé et autres Grands Magasins. Bien souvent, ces parfums cherchent à plaire au plus grand nombre possible. Études de marché, panels olfactifs… De nombreux moyens sont déployés afin d’orchestrer les réussites et de prévenir les flops. Lorsque le succès est au rendez-vous, une fragrance aura alors de nombreuses déclinaisons, aussi appelées flankers, le but étant de capitaliser sur cette réussite tout en rentabilisant au maximum le produit de départ.
La parfumerie de masse accorde une place de choix au marketing et à la communication lors d’un nouveau lancement, s’offrant des spots publicitaires aux prix faramineux et faisant amplement reposer la promotion du parfum — voire de la marque toute entière — sur une célébrité. Ainsi, en achetant un parfum, les consommateurs se verront accorder un petit bout de prestige, d’élégance, de sensualité et bien plus encore, par mimétisme avec la tête d’affiche de la fragrance. En lisant les mots “J’adore, Dior,” peut-être avez-vous vu surgir Charlize Theron dans un coin de votre tête ?
Malheureusement, la popularité et l’accessibilité du parfum sont à double tranchant. On a assisté au fil des années à un phénomène d’uniformisation : la volonté de transformer le parfum en produit de consommation fait que dans les années 50, déjà, aux yeux de certains, les fragrances commencent à se ressembler un peu trop, comme si l’art-même de la parfumerie perdait un peu de son âme… C’est en réaction à cela qu’émerge la parfumerie de niche vers la fin des années 60.
La parfumerie de niche ou l’enfant rebelle du monde olfactif
Si les parfums de masse sont en quelque sorte les blockbusters du marché du parfum, la parfumerie confidentielle se veut être une alternative plus authentique. Elle fait le choix de cibler un marché plus restreint, moins compétitif, et aussi souvent constitué de connaisseurs — en somme, une niche !
L’historienne du parfum Elisabeth de Feydeau définit les ambitions de la parfumerie de niche comme celles de “réveiller l’émotion, flatter la personnalité et répondre à un fort besoin de se singulariser.”
Dans les années 70, des créateurs souhaitent se libérer de la tyrannie des marchés et recentrer le parfum sur l’essentiel : le jus lui-même.
Peu à peu, de nouvelles marques voient le jour. Reléguant les études de marchés et les tendances olfactives et commerciales au second plan, individualité, originalité et liberté créative sont désormais les maîtres-mots. À l’époque, on parle de “troisième parfumerie” ou de “parfumerie parallèle.”
Les parfumeurs visent juste, et les décennies suivantes voient prospérer la parfumerie de niche avant qu’elle ne connaisse un véritable essor au début du nouveau millénaire. Pour la journaliste spécialisée en parfumerie Maïté Turonnet, les trois grands pionniers de la parfumerie de niche sont Jean Laporte avec L’Artisan Parfumeur, Serge Lutens et Annick Goutal.
Parmi les maisons s’étant imposées comme des références dans le milieu de la niche, on trouve Le Jardin Retrouvé, Nicolaï, Éditions de Parfums Frédéric Malle, Le Labo, by Kilian, Maison Francis Kurkdjian, Byredo, Juliette has a gun, The Different Company ou encore Memo. Certains petits nouveaux comme BDK Parfums ou Maison Crivelli sont bien partis pour rester.
Avec le recul, certaines marques nées avant le mouvement, se sont vues qualifier de niche, par exemple, Diptyque (1961), Penhaligon’s (1870), Creed (1760) ou même Santa Maria Novella (1221), ces dernières étant des maisons dotées d’un riche patrimoine olfactif historique.
Caractéristiques de la parfumerie de niche
Dans la parfumerie niche, l’accent est mis sur la qualité et la noblesse des matières premières, et ce sont souvent elles que l’on cherche à valoriser et à mettre au centre de la communication. Les parfums niche assument d’intégrer dans leurs compositions des ingrédients et des notes moins conventionnelles, des propositions et concepts parfois avant-gardistes pouvant surprendre, voire déplaire, et revendiquent cette différence. Il s’agit ici non plus de vouloir s’identifier à l’égérie d’une marque ou de nous fondre dans la masse en adoptant la dernière tendance olfactive mais plutôt d’exprimer une identité plus personnelle et pleinement assumée.
Comme les parfums de niche ciblent un marché plus restreint, ils sont aussi distribués de façon plus sélective, dans les points de vente de la marque, des parfumeries indépendantes ou des pop-up stores. Comme ils sont produits en plus petit nombre, ils sont aussi souvent plus chers, car il faut tout de même être rentable… La bonne nouvelle, c’est que la marque devra aussi en vendre moins pour atteindre cette rentabilité. Enfin, bon nombre de parfums de niche sont des parfums mixtes, non-genrés.
Il est important de rappeler que le fait qu’un parfum soit de niche n’est pas nécessairement un gage de qualité. De la même manière, un parfum de masse n’est pas automatiquement inférieur ou dépourvu de toute sensibilité artistique : de nombreuses fragrances aujourd’hui mythiques et considérées comme de petits bijoux olfactifs sont des parfums de masse ! Il s’agit ici de souligner les différences d’approche entre deux branches de la parfumerie.
Masse et niche : des frontières de moins en moins hermétiques ?
Ces dernières années, les frontières entre la parfumerie de masse et la parfumerie de niche se sont effritées. Nombreuses sont les marques niche à avoir intégré de grands groupes afin de poursuivre leur développement. C’est par exemple le cas de Frédéric Malle et Le Labo qui ont été rachetés par Estée Lauder ; Maison Francis Kurkdjian a intégré LVMH, Atelier Cologne, L’Oréal, tandis que Byredo, Penhaligon’s et L’Artisan Parfumeur font désormais partie de Puig.
Certaines marques sont sorties des confins des échoppes confidentielles et ont étendu leur portée, s’invitant chez Sephora ou de grands magasins à l’instar des Galeries Lafayette. Par ailleurs, plusieurs fragrances de niche ont acquis une certaine renommée : Le Labo avec Santal 33, Frédéric Malle avec Portrait of a Lady, Creed avec Aventus… Eh oui, le succès a rendu le public de certaines maisons… un peu moins niche !
Enfin, des marques historiquement habituées des parfums de masse ont commencé à proposer des créations tournées vers la niche, avec une plus grande valorisation des matières premières, des prix plus élevés et une distribution plus sélective : Tom Ford et sa collection Private Blend, Armani avec Armani Privé, Chanel avec Les Exclusifs de Chanel, la Collection Privée de Christian Dior, ou encore Olfactories chez Prada…
Quoi qu’il en soit, le parfum de niche reste avant tout une philosophie, une manière d’aborder le parfum et le rapport que nous entretenons avec lui. Pour poursuivre cette découverte de la parfumerie confidentielle tout en vous amusant, optez pour le Pocket Quiz de Master Parfums édition spéciale Jovoy, , le temple parisien de cette parfumerie confidentielle. Un jeu de 120 questions-réponses pour se mettre au parfum… de niche!
Ce n’est pas tout : si vous êtes dans les parages lors du salon Esxence, bonne nouvelle, Master Parfums y sera aussi ! Qui de mieux pour vous faire plonger dans l’univers de la marque et sa gamme de jeux olfactifs que sa créatrice Anne-Laure Hennequin ? Rendez-vous à Milan, du 6 au 9 mars prochain !