René le Florentin, parfumeur de Catherine de Médicis
Il y a quelques siècles, on vous aurait regardé avec des yeux ronds si vous aviez suggéré que se parfumer puisse être autre chose qu’une formalité destinée à camoufler votre odeur corporelle. Si la parfumerie est aujourd’hui un art noble, on doit cela en grande partie à Catherine de Médicis et à son parfumeur personnel, René le Florentin. Master Parfums remonte le temps et vous raconte comment ce maître italien a marqué l’histoire du parfum en France.
Le couvent de Santa Maria Novella
En 1221, un groupe de frères dominicains fonde le couvent de Santa Maria Novella à Florence. Ils y cultivent verger, potager et un jardin des simples débordant d’herbes et de plantes utilisées pour concocter des médicaments, des baumes et des onguents qu’ils prescrivent dans leur officine du couvent.
On retrouve des traces de production d’eaux parfumées à Santa Maria Novella à partir de 1381 : pendant la peste noire, les moines distillent de l’eau de rose aussi bien destinée à assainir les pièces qu’à la consommation personnelle.
Rapidement, les préparations du couvent connaissent un franc succès auprès de l’aristocratie et les produits parfumés deviennent l’apanage de la noblesse italienne. Et René le Florentin, dans tout ça ?
Renato Bianco et Catherine de Médicis
Renato Bianco de son vrai nom est abandonné à la naissance et recueilli et élevé par les frères de Santa Maria Novella. C’est là qu’il apprend à distiller les herbes du couvent auprès des moines alchimistes. Une bonne partie de la vie du parfumeur reste énigmatique ; c’est surtout pour son association avec Catherine de Médicis que le nom de René le Florentin résonne encore aujourd’hui.
En 1533, l’Italienne Catherine de Médicis, âgée de 14 ans, s’apprête à rejoindre son futur époux et le futur roi de France Henri II. Les élites italiennes étant alors friandes de produits parfumés, la position sociale de Catherine de Médicis la tourne naturellement vers le parfum. Elle demande aux moines de Santa Maria Novella de lui confectionner une fragrance spéciale pour ses noces à venir, mais ce n’est pas tout : alors qu’elle va rejoindre la capitale française, elle exige que Renato Bianco se glisse parmi son entourage de pages, de gardes et de dames de compagnie afin qu’il continue de la fournir en produits de beauté parfumés.
Lorsqu’ils arrivent à Paris, Bianco et la future reine y sont témoins d’un drôle de paradoxe : si à la Renaissance, tout le monde est en apparence extrêmement apprêté, l’hygiène est bien loin de suivre !
Le parfum à la Renaissance ou le “règne de la crasse parfumée”
D’une part, une extrême coquetterie est de mise. On fait usage de miroirs, de peignes, de boîtes à fards et de pomanders faits de matières précieuses. Les pomanders étaient des pendentifs sphériques renfermant des substances odorantes variées. En plus de combattre les mauvaises odeurs, ils sont vus comme des amulettes ayant le pouvoir de protéger contre la maladie. Les médecins considèrent d’ailleurs que les matières odorantes peuvent guérir certains maux. Outre le pomander, on voit fleurir de nouveaux objets de senteur tels que les oiselets de chypre (pâte parfumée moulée en forme d’oiseau) que l’on jette dans le feu et qui parfume et assainit l’air ambiant : eau de rose, labdanum, musc civette, ambre gris, styrax, benjoin cannelle, girofle…autant de nouvelles matières odorantes rapportées d’Asie par les grands explorateurs de l’époque.
D’autre part, l’eau effraie : on la pense vectrice de maladie et de contagion. Au XVIe siècle, les bains, en ouvrant les pores, laisseraient entrer les miasmes dans le corps. Pour un véritable lavage en profondeur, on utilise le terme “se décrasser”. Les médecins prônent la toilette sèche qui consiste à se frotter le corps avec des substances aromatiques, lotions ou vinaigres, de se poudrer et se vêtir de linge parfumé. Le mot toilette vient d’ailleurs de cette petite toile de tissu que l’on trempait de ces vinaigres.
Malgré tout, l’engouement pour l’Antiquité gréco-latine qui caractérise la Renaissance combiné à l’invention de l’imprimerie prépare un terrain propice à la diffusion d’ouvrages contenant des recettes d’eaux odorantes.
Un maître italien à Paris
À Paris, Catherine de Médicis introduit Renato Bianco à la cour de France… et initie la France à l’art de se parfumer. Si dans la terre natale de l’Italien, la culture du parfum est déjà en vogue, ce n’est pas encore le cas dans l’Hexagone. Dans sa boutique du Pont-au-change, il se fait connaître sous le nom de René le Florentin et grâce à ses connexions royales, les essences qu’il fabrique se font vite indispensables pour la noblesse de la ville.
Les produits parfumés deviennent un must : perruques, gants, coussins, éventails, tout se parfume! À une époque où l’hygiène est constamment négligée, le parfum joue surtout un rôle camouflant. La peur de l’eau étant généralisée, il s’agit de masquer des effluves parfois nauséabondes ; les fragrances se doivent donc d’être capiteuses à souhait. Pour les nobles qui ont les moyens de s’en procurer, le musc, l’ambre ou encore la tubéreuse coulent à flots.
Le parfum continue certes d’être utilisé pour dissimuler le manque de propreté, mais il gagne peu à peu ses lettres de noblesse et devient un symbole de statut social. D’autres parfumeurs italiens viennent s’installer à Paris, avant que ce ne soit au tour des Français de se tourner de plus en plus vers la profession. Si elle était jusque-là purement pratique, elle se retrouve progressivement associée à l’élégance et au luxe. Le métier de gantier-parfumeur a le vent en poupe et remplace petit à petit celui d’apothicaire pour la diffusion des parfums, le Roi-Soleil créant même un brevet de maître gantier-parfumeur en 1651.
Les matières animales sont très prisées, tout comme des matières végétales jusque-là inconnues rapportées par les explorateurs de leurs voyages et que le Florentin travaille : la vanille et le baume du Pérou, le cacao et le tabac, ou encore des épices telles la cannelle, le gingembre et le benjoin. Avec la découverte de nouvelles routes maritimes, ce n’est plus seulement l’Italie qui en profite !
Cependant René le Florentin n’est pas célèbre que pour ses parfums…
Des fragrances parfois fatales ?
Il se murmure à la cour de France que Catherine de Médicis chargerait son parfumeur personnel de lui confectionner des poisons dissimulés dans des fragrances d’apparence anodine ou des accessoires de mode…
En 1572, la protestante Jeanne d’Albret, mère d’Henri de Navarre et ennemie jurée de Catherine de Médicis, décède après avoir été prise de douleurs et d’une fièvre soudaine. La rumeur inculpant des gants empoisonnés commandités par Catherine de Médicis et confectionnés par nul autre que son parfumeur personnel ne tarde pas à se propager.
Revenons à nos flacons, en tout cas, à ceux qui nous veulent du bien ! Quelle était donc cette fragrance créée spécialement pour l’union entre Catherine de Médicis et Henri II ?
L’Acqua della Regina
Formulée en 1533, l’Acqua della Regina est une essence à base de bergamote de Calabre et de néroli. On y trouve également du clou de girofle, du romarin et de la lavande, le tout reposant sur une belle base musquée. L’officine Santa Maria Novella existe toujours à Florence et pour fêter les 800 ans de la marque, elle a lancé l’édition Firenze 1221 de la fragrance, aujourd’hui connue sous le nom de Acqua di Santa Maria Novella.
C’est une fragrance hespéridée et fraîche à souhait ; pas étonnant que bon nombre de colognes contemporaines s’inscrivent dans sa lignée.
- L’Aqua Mirabilis (1695) de Giovanni Paolo Feminis pourrait être inspirée de l’Acqua della Regina.
- Avec ses notes d’agrumes, de lavande et de romarin, l’eau de Cologne 4711 (1792) évoque elle aussi la fragrance de celle qu’on appelait “la reine noire”.
- Idem pour l’Eau Impériale (1860) : Guerlain convie une foule d’agrumes à une rencontre avec du romarin et du cèdre.
- Toujours chez Guerlain, on peut également nommer la subtile et acidulée Eau de Fleurs de Cédrat (1920).
Vous l’aurez compris, le passage de René le Florentin dans nos contrées a changé la trajectoire de la parfumerie en France, l’aidant à dépasser son usage purement fonctionnel et élevant son statut, marquant en quelque sorte le début de notre parfumerie moderne.
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