La rose de mai ou rose centifolia en parfumerie
“Mignonne, allons voir si la rose…” Elle est l’emblème de cette célèbre ode de Ronsard, peuple les tableaux des peintres hollandais du XVIIe siècle, rayonne à la Saint-Valentin… Existe-t-il une fleur plus célébrée que la rose ? La parfumerie n’échappe pas à son emprise, bien au contraire : la fleur y est un ingrédient phare. Parmi les 40 000 sortes de roses recensées, l’une de celles qui dominent le marché est aujourd’hui sous le feu des projecteurs de Master Parfums : faites place à la rose de mai.
Sur les traces de la rose de mai
Les roses proviennent de façon générale du Caucase oriental. Cela fait environ 5000 ans que les rosiers sont cultivés en Perse et en Chine, et 2000 que l’eau de rose y est utilisée. Toujours en Perse, les premières extractions d’huile essentielle de rose datent quant à elles du XVIIe siècle.
L’origine exacte de la rose de mai reste floue. Son nom scientifique rose centifolia signifie “cent-feuilles” en latin : une allusion à sa foisonnante quantité de pétales. Il s’agit d’une fleur hybride née du croisement d’autres types de roses : la rose de Damas et la rose Canina sont dans le lot, mais il semble que les botanistes ne parviennent pas à totalement s’accorder sur son lignage.
La rose centifolia est énormément développée au XVIIe siècle par des sélectionneurs hollandais qui en créent plus de 200 variétés avant que les Français ne prennent le relais deux siècles plus tard. Aujourd’hui, sa production est largement destinée au secteur de la parfumerie. La Turquie et la Bulgarie mènent la danse, mais on retrouve aussi le Maroc, l’Égypte, et cocorico, la France !
Une icône des paysages grassois
L’histoire d’amour entre la rose de mai et notre pays démarre lorsque la fleur s’invite à Grasse au XVIe siècle. La ville aujourd’hui considérée comme la capitale du parfum est à l’époque renommée pour sa production de cuir. C’est pour masquer les effluves peu ragoûtantes liées au tannage que la rose centifolia commence à y être cultivée, avant de se muer en une industrie à part entière au XVIIe siècle.
Les années 80 voient le déclin temporaire de la production faute de repreneurs ou suite au passage de promoteurs immobiliers souhaitant racheter des terrains… mais qu’à cela ne tienne : à la demande de maisons de parfumerie charmées par la fragrance riche et sucrée de la fleur, la production reprend de plus belle. C’est par exemple le cas de Chanel : en 1987, à l’initiative de Jacques Polge, maître-parfumeur de la maison, la marque entame un partenariat avec la famille Mul, productrice de fleurs depuis des générations. Ou encore Lancôme qui cultive sa rose au Domaine de la rose, Dior et son partenariat avec le Domaine de Manon et le Clos de Callian, ou encore Matière Première dont le parfumeur Aurélien Guichard, co-créateur de la marque, a fondé un domaine en agriculture bio où il récolte roses centifolia et tubéreuses pour ses parfums.
Utilisations de la rose de mai en parfumerie
Lors de sa floraison printanière, le rosier cent-feuilles revêt des fleurs d’un rose tantôt vif, tantôt pastel. Cette floraison est non remontante, autrement dit, il n’y en a qu’une seule par an. Les roses sont récoltées au mois de mai, toujours le matin, lorsque les premiers rayons du soleil réveillent leurs molécules odorantes.
Elles sont arrivées à maturité lorsque l’on peut apercevoir leur joli cœur jaune et sont alors cueillies à la main en coupant au niveau du pédoncule. Il est ensuite impératif d’utiliser les pétales le jour même de la récolte. Contrairement à sa cousine la rose Damascena dont on peut produire une huile essentielle et une eau florale par hydrodistillation, la rose centifolia, elle, ne se dévoile qu’en absolu, aux facettes rosées, miellées et terreuses.
On pourrait extraire une huile essentielle par hydrodistillation ou un extrait aux notes très fidèles à la belle que l’on sent en live, mais le rendement n’est pas à la hauteur du coût.
Il faut approximativement 800 kilos de pétales pour obtenir 1 kilo d’absolu et 3 à 5 tonnes pour 1 kilo d’huile essentielle, ce qui rend cette dernière bien plus coûteuse : comptez 1200€ à 2000€ pour un kilo d’absolu et entre 5000€ et 7000€ pour 1 kilo d’huile essentielle.
Quelques exemples de parfums autour de la rose de mai
On dit parfois d’une chose qu’elle est “à l’eau de rose” lorsqu’elle est mièvre, trop sentimentale. Pourtant, la rose de mai est capable d’exhiber autant de facettes qu’elle a de jolis pétales : ce n’est pas pour rien que les parfumeurs se l’arrachent ! Voici quelques parfums mettant en avant la douceur enivrante de la rose centifolia :
- La Rose Jacqueminot (1904) est le premier parfum de François Coty. C’est la rencontre sensuelle entre un absolu de rose de mai et de rose de Damas et des molécules de synthèse pour donner du corps au jus : le rhodinal rappelle le géranium, l’ionone, elle, la violette.
- Comment évoquer la rose de mai sans parler de l’emblématique N°5 de Chanel ? En 1921, Coco Chanel charge Ernest Beaux de créer le premier parfum pour femme de la maison. Le parfumeur décide de mêler les fameux aldéhydes que l’on connaît à la fragrance à du jasmin et de la rose de mai originaires de Grasse. L’absolu de rose utilisé dans N°5 vient d’ailleurs de l’exploitation de la famille Mul mentionnée plus haut !
- Joy de Jean Patou (1930) : le mariage entre pas moins de 10 600 fleurs de jasmin et 28 douzaines de roses de mai forme ce somptueux jus d’Henri Alméras. Joy a cessé d’être commercialisé, mais son nom a été repris et donné à un autre parfum…
- Le merveilleux Nahéma (1979) de Guerlain, considéré par de nombreux parfumeurs comme une icône de parfum rosé.
- Ombre Rose (1981) de Jean-Charles Brosseau, où la reine des fleurs se fait poudrée et veloutée.
- Chez Dior, François Demachy fait briller les roses de mai du Château La Colle Noire, un domaine du Pays de Fayence appartenant à la maison. La Colle Noire (2016) est un floral-fruité délicatement enveloppé d’ambre et de bois de santal.
- Avec L’Air du Temps (1948), Francis Fabron crée pour Nina Ricci le premier floral-épicé de la parfumerie. C’est un jus débordant de tendresse, mêlant rose centifolia, jasmin et gardénia à un œillet giroflé.
- Paris (1983) d’Yves Saint Laurent propose un accord poudré rose-violette…
- …aussi présent dans Trésor (1990) de Lancôme, un parfum qui se veut velouté à travers la rondeur de la pêche et de l’abricot.
- Du côté de la parfumerie de niche, après le musqué et envoûtant Rose de Nuit en 1993, Serge Lutens présente Sa Majesté la Rose (2000) : la rose centifolia y est verte, agrémentée d’aiguilles de pin et de feuilles d’eucalyptus.
- L’Eau Rose (2012) de Diptyque est pour le moins surprenante : une rose de mai et une rose de Damas intenses côtoient la rose Firad aux accents évocateurs du litchi, ainsi que des notes de camomille et d’artichaut.
- By Kilian borde la rose de mai de son Roses on Ice (2020) de concombre, de citron vert et de baies de genévrier. Le résultat ? Une rose aquatique !
Après la rose de mai, vous avez envie de découvrir d’autres ingrédients de la parfumerie de façon ludique ? Ça tombe bien : le livre-jeu olfactif Master Parfums est là pour réveiller le/la parfumeur/euse qui sommeille en vous.