La parfumerie espagnole histoire et marques iconiques
Il y a de fortes chances que la mention de l’Espagne fasse apparaître dans votre esprit plusieurs images : une plage baignée de soleil, un match de foot survolté, un Picasso ou un Goya, un film d’Almodóvar, sans doute aussi quelques tapas vous mettant l’eau à la bouche…
Le parfum est probablement bas dans la liste, voire carrément absent. Pourtant, l’Espagne exporte plus de fragrances qu’elle n’exporte d’huile d’olive, de vin et de chaussures, des secteurs pesant pourtant lourd dans son économie et tout autant dans son identité culturelle ! Par ailleurs, le pays ne se contente pas d’aimer le parfum, il en produit aussi. Master Parfums vous emmène donc sans plus attendre en voyage olfactif en terre espagnole.
Al-Ándalus : l’Espagne sous influence arabe, parfums inclus
Première étape : le Moyen Âge. Entre 711 et 1492, l’Espagne est al-Ándalus : de nombreux territoires de la péninsule ibérique se retrouvent successivement sous la domination de peuples Arabes, ce qui n’est pas sans conséquences sur la culture parfumée du pays. En effet, l’Islam entretient des liens étroits avec le parfum, ce dernier y étant vu comme un moyen de se purifier. Des parfumeurs arabes ne manquant pas de s’implanter sur le territoire, ils amènent avec eux leur expertise en matière d’alchimie.
Si c’est en Mésopotamie vers -3500 que l’on a retrouvé les premiers signes de l’usage d’alambic, ce sont les Arabes qui perfectionnent au Xème siècle l’utilisation de cet instrument servant à la distillation et qu’ils emploient dans le domaine scientifique pendant le Moyen Âge. L’utilisation de l’alambic se popularise en Europe au point de devenir l’ustensile standard pour réaliser des distillations – et l’Espagne est aux premières loges. En Andalousie, les villes de Grenade et de Séville deviennent des lieux de forte production de fragrances.
En somme, la diffusion du savoir-faire arabe lors de la période al-Ándalus marque un tournant dans la parfumerie espagnole, mais aussi dans celle de l’Occident tout entier. Lorsque la Renaissance frappe à la porte, l’Espagne est alors avec l’Italie un lieu privilégié de commerce, où marchands en tous genres font circuler leurs matières premières.
La Renaissance : les parfumeurs espagnols sur le devant de la scène
La Renaissance est elle aussi un terreau extrêmement fertile pour le développement de la parfumerie dans toute l’Europe. À cette époque, on se lave peu, et le parfum a surtout une fonction écran contre les mauvaises odeurs corporelles. Eh oui, à l’heure où la peste noire fait rage, on se méfie de l’eau, que l’on soupçonne être vectrice de maladies. Résultat : on assiste à une sorte de “règne de la crasse parfumée” !
Des explorateurs tels le génois Christophe Colomb au service des rois catalans espagnols, ou encore les Portugais Fernand de Magellan et Vasco de Gama rapportent de leurs voyages des matières premières encore peu connues en Europe. Cacao, vanille, tabac, des épices comme la cardamome ou le poivre font connaître un nouvel essor au monde de la parfumerie. Plus les arômes seront couvrants, mieux ce sera : on a besoin de camoufler ses effluves peu agréables avec des fragrances capiteuses à souhait. Et à l’époque, les grands parfumeurs sont principalement italiens… et espagnols ! Ayant hérité de l’érudition des conquérants arabes, les Espagnols ne sont plus en reste dans le monde olfactif.
Espagne et parfum aujourd’hui
On pourrait penser que le passé de l’Espagne sous domination arabe aurait débouché sur un pays friand de parfums entêtants, mêlant oud et résines sombres… C’est en fait tout le contraire ! Sans doute partiellement sous l’influence de son chaud climat méditerranéen, les notes hespéridées, toniques et légères, les eaux de Cologne et les parfums floraux tout en fraîcheur ont la cote. Si en France, il est fréquent d’employer familièrement le terme “parfum” alors que le produit dont on parle est peut-être une eau de toilette ou de Cologne, en Espagne, c’est plutôt le mot “colonia” que vous entendrez être utilisé à toutes les sauces !
En plus d’être aujourd’hui le deuxième exportateur mondial de parfums, l’Espagne est aussi le quatrième plus gros marché de l’Union Européenne dans le domaine parfumé. Parmi les fragrances les plus prisées, on trouve Eau de Rochas, Light Blue, Amor Amor, CK One, Coco Mademoiselle… mais aussi des fragrances venues tout droit d’Espagne comme le sont par exemple Aire ou Agua de Loewe ! Partons pour un petit tour d’horizon des grandes maisons de parfumerie hispaniques et de quelques figures notables de la parfumerie espagnole.
Touches de culture olfactive espagnole
Marques iconiques
Lorsque Javier Serra fonde la désormais mythique maison de parfumerie Dana en 1932, si classicisme et élégance en sont les maîtres-mots, séduction l’est tout autant. Serra donne au parfumeur Jean Carles un brief pour le moins étonnant : Jean Carles est chargé de composer “un parfum de pute.” Le résultat ? Un bal d’épices, de patchouli et d’œillet, intense à souhait. La collaboration entre Dana et Jean Carles, avec notamment la sortie en 1935 des fragrances Canoe et Emir, fera le succès de la marque.
Avant de fonder Dana, Javier Serra a déjà connu d’autres horizons parfumés : il a travaillé chez Myrurgia, une autre maison de parfumerie espagnole ayant su s’imposer dans le panorama olfactif du pays. Née en 1916, on compte parmi ses fragrances les plus notables l’eau de Cologne Maderas de Oriente (1918) aux bois surfant sur la mode de l’orientalisme, ou encore Maja (1917) dont la danseuse andalouse et pionnière de l’émancipation artistique féminine Carmen Tórtola Valencia fut l’égérie.
Impossible de ne pas mentionner également Heno de Pravia (1905), ce savon vert évoquant le blé et le foin de la maison Perfumería Gal. Alors que son créateur Salvador Echeandía Gal passe par Pravia dans la province des Asturies, il est frappé par les effluves vertes du foin fraîchement coupé et se met en tête de créer un produit dans lequel retrouver cette odeur. Le pari est réussi, et Heno de Pravia est aujourd’hui un point de repère olfactif en Espagne.
De la mode à la parfumerie
Loewe (à prononcer “louévé”) voit le jour en 1846 lorsque Heinrich Roessberg Loewe fonde à Madrid ce qui est au départ une maison de maroquinerie. C’est peu de dire que le succès sera au rendez-vous : en 1905, Loewe devient le fournisseur de la cour royale d’Espagne. Il faut attendre 1972 pour que la première fragrance de la marque soit lancée : L de Loewe, une eau de toilette verte, chyprée, renfermant un délicat cœur floral. Les sobrement nommées Aire, Solo ou encore Esencia deviennent par la suite très populaires auprès du public espagnol.
La maison travaille depuis 2018 avec sa propre parfumeure, Nuria Cruelles Borrull, à qui l’on doit notamment le surprenant Paula’s Ibiza (2020), une eau de toilette aquatique langoureuse, aux accents salés, ou encore le on ne peut plus poudré Earth (2022) dans lequel s’invitent une touche sucrée de poire et une truffe terreuse.
Gabrielle Chanel le surnommait “le métallurgiste de la mode” : il ne s’agit de nul autre que de Paco Rabanne. Alors qu’il est aujourd’hui un des grands couturiers les plus reconnus de notre époque, ses premiers pas dans la mode ne sont pourtant au départ qu’un moyen de financer ses études d’architecture aux beaux-arts de Paris !
Cuir fluorescent, robe en plaques d’or, sac en cotte de mailles… L’esthétique futuriste et l’extravagance revendiquée des créations de Rabanne font mouche. Son amour des matériaux métalliques et novateurs ne le quitte pas lorsqu’il lance en 1969 sa toute première fragrance, et pour cause : elle se nomme Calandre, du nom de la partie avant des voitures laissant passer l’air pour aérer le moteur.
Calandre est une eau de toilette se voulant l’alliée de l’émancipation de la femme dans laquelle se mêlent le froid et le chaud, une envolée d’aldéhydes conférant des tonalités métalliques à un cœur de rose et la profondeur boisée du santal et de la mousse de chêne.
On peut aussi citer Adolfo Domínguez et Angel Schlesser comme deux créateurs de mode à s’être aventurés dans l’univers de la parfumerie et à s’y être forgés un nom à l’international, avec cette fois-ci, des créations sobres et sophistiquées. Domínguez est d’ailleurs le tout premier styliste espagnol à avoir lancé une marque de parfums à son nom. Dans le lot également, Massimo Dutti : eh oui, malgré son nom italien, l’enseigne a été fondée à Barcelone en 1985 par le couturier espagnol Armando Lasauca !
Eaux de Cologne et nostalgie
S’il y a des pays dans lesquels l’idée de parfumer les plus petits fait hausser un sourcil interrogateur, en Espagne, c’est une pratique très démocratisée, et la Cologne NENUCONenuco occupe une place de choix dans ce moment quotidien de nombreux espagnols. Dans les années 30 et alors que l’Espagne connaît la dictature franquiste, Ramón Horta, un ingénieur barcelonais, se met à fabriquer chez lui cette Cologne construite sur un accord verveine-fleur d’oranger rappelant l’odeur toute douce de la peau des bébés. Elle a depuis traversé les générations, devant une véritable madeleine de Proust pour les plus grands !
Une autre eau de Cologne espagnole bien connue – cette fois-ci destinée à un public adulte – est l’Agua de Colonia Concentrada Álvarez Gómez et son caractéristique flacon jaune art déco, qui voient le jour en 1912. Citron d’Amalfi, lavande provençale et géranium espagnol provenant tous exclusivement de la Méditerranée constituent la formule inchangée de cette fragrance toujours commercialisée aujourd’hui.
Géant confirmé et étoiles montantes
Dans le monde de la mode, des cosmétiques, et bien sûr, du parfum, on ne présente plus la société catalane Puig (prononcez “poutch”). Créée en 1914 à Barcelone par Antonio Puig Castelló et destinée à l’importation et la distribution de fragrances et de produits de beauté, Puig a su se positionner en acteur de renom dans le milieu du luxe au cours du siècle qui a suivi.
À ses débuts, Puig est derrière Milady (1922), le tout premier rouge à lèvres à être produit en Espagne. Vient ensuite sa première fragrance en 1940, la désormais iconique Agua Lavanda Puig créé en période de guerre et de réduction des importations, elle a été élaborée uniquement avec des matières premières locales (lavande, lavandin, citron, romarin, …).
Société visionnaire animée par un fort désir d’expansion, Puig rachète au cours des années de nombreuses marques – nous venons de parler de bon nombre d’entre elles ! Perfumería Gal, Myrurgia, Heno de Pravia, Paco Rabanne, Adolfo Domínguez, Massimo Dutti… Ce n’est pas tout : , sous son ombrelle, Puig compte aussi Jean-Paul Gaultier, la latine Carolina Herrera, Nina Ricci, et des marques plus “niche” telles que Penhaligon’s, L’Artisan Parfumeur. Le groupe développe également les fragrances des marques Dries Von Noten, Christian Louboutin, depuis peu la suédoise Byredo, et a créé la collection des flacons galets de Comme des GarçonsVoilà en somme une ascension vertigineuse pour cette société encore dirigée par des membres de la famille Puig, et qui connaît aujourd’hui un rayonnement à l’international.
Ces dernières années, la parfumerie de niche espagnole brille elle aussi de plus en plus. La scène barcelonaise est particulièrement généreuse, les sensibilités de nombreux créateurs et créatrices s’y bousculant pour nous entraîner vers de nouveaux chemins olfactifs. Parmi les marques à suivre de près, il y a par exemple…
- Carner, aux fragrances d’inspiration méditerranéenne se voulant les ambassadrices de l’âme barcelonaise ;
- Ramón Monegal, maison éponyme d’un membre de la quatrième génération des créateurs de Myrurgia ;
- L’avant-gardisme sophistiqué de Santi Burgas, marque née dans un ancien entrepôt de séchage de riz !
- La plus bohème Genyum, dont les fragrances célèbrent les électrons libres que sont les artistes et les artisans ;
- Rosendo Mateu, maison lancée par le maître parfumeur du même nom, riche de décennies d’expérience chez Puig ;
- Bravanariz, qui cherche à encapsuler la beauté olfactive des paysages naturels, toute la richesse et la pureté de leurs arômes qui font s’éveiller nos sens.
Envie de prolonger ce voyage olfactif en terre ibérique ? C’est du côté du nouveau jeu de Master Parfums que ça se passe. Pocket Quiz : Le tour du monde en parfums est un jeu de 120 questions-réponses vous permettant d’en savoir plus sur la culture du parfum de différents pays, Espagne incluse ! Et si vous parlez espagnol ou que vous voulez réviser vos cours de lycée, le jeu est aussi disponible dans la langue de Cervantes !