Parfum iconique : L’Air du Temps de Nina Ricci
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Europe ne rêvent que d’une chose : se relever. Avec l’arrivée de L’Air du Temps, l’insouciance nouvelle dont le monde a soif ne se contente plus d’habiter les cœurs et les esprits, elle est désormais aussi sur toutes les peaux. Master Parfums revient sur ce parfum de Nina Ricci devenu mythique qui fut et continue d’être le reflet olfactif de la liberté retrouvée.
Après-guerre, de nouvelles aspirations
En 1948, la France vient d’être traversée par deux conflits majeurs en moins d’un demi-siècle. Si les cicatrices de la Seconde Guerre mondiale qui a pris fin il y a trois ans seulement sont encore fraîches, un désir ardent de renouveau l’est tout autant. C’est d’ailleurs le début des Trente Glorieuses, une période de forte croissance économique. Du côté des mentalités, l’envie d’une paix universelle comme antidote à l’horreur de la guerre et comme moyen de construire un monde meilleur se reflète partout… parfumerie incluse.
Nina Ricci à Paris
En 1932, la maison de couture éponyme de la franco-italienne Maria Adélaïde Giuseppa Nielli, dite Nina Ricci, s’installe à Paris. C’est le fils de la couturière, Robert Ricci, qui fonde la maison au 20 rue des Capucines dans le 1ᵉʳ arrondissement de la capitale. Rapidement, la marque se pose à contre-courant des tendances de l’époque : son style ultra-féminin est à l’opposé de la mode des garçonnes qui bat son plein dans les années 30.
Quinze ans plus tard, pour de nombreuses entreprises, les retombées économiques de la guerre ont été lourdes. Il est alors impératif de diversifier ses activités et donc, ses sources de revenus. Nina Ricci n’y échappe pas : en 1946, sous la tutelle de Robert Ricci, la maison inaugure son département de parfumerie et lance la même année sa toute première fragrance, Cœur Joie. Si les parfums floraux aux allures printanières (comme l’évocateur Vent Vert de Balmain ou Ma Griffe chez Carven) ont pourtant la cote, la verdure de Cœur Joie ne rencontre malheureusement pas le succès escompté. Qu’à cela ne tienne : Nina Ricci sort une deuxième fragrance deux ans plus tard et cette fois-ci, elle a l’effet d’une petite révolution olfactive.
L’Air du Temps, un parfum de liberté
En 1948, Francis Fabron compose L’Air du Temps, un magnifique parfum floral-épicé, le tout premier de l’histoire de la parfumerie. Le parfumeur dira à propos de sa création : “J’ai imaginé le parfum que je voudrais sentir sur les épaules de la femme que j’aime”. Le résultat ? Une fragrance où tendresse est le maître-mot et incarnant le désir collectif d’aller de l’avant avec optimisme et une certaine désinvolture.
Avec L’Air du Temps, Fabron livre un jus délicat et solaire à la fois, tournant le dos aux notes verdoyantes de Cœur Joie, mais pas seulement : la fragrance est également à contre-courant des parfums chyprés qui faisaient fureur pendant l’entre-deux guerres. Le parfum de Nina Ricci s’inscrit dans un nouveau contexte olfactif où des fragrances plus lumineuses sont le reflet des mentalités de l’époque.
L’Air du Temps ouvre son bal parfumé avec des notes hespéridées de bergamote faisant ensuite place à un sublime arrangement floral : rose centifolia, jasmin de Grasse et une violette poudrée. C’est sans doute l’accord œillet-gardénia sur lequel repose une grande partie de l’identité olfactive du parfum : l’œillet vient exalter son charisme avec sa note épicée de clou de girofle, tandis que le gardénia se veut plus vert et opulent. Enfin, le mariage entre un sensuel santal de mysore et de l’iris de Florence confère à L’Air du Temps une qualité veloutée. Ambre et cèdre enrobent la fragrance pour en faire une véritable caresse olfactive.
Avec une trentaine de composants seulement, la liste d’ingrédients de L’Air du Temps est courte, surtout pour l’époque à laquelle il voit le jour. D’ailleurs, un invité atypique s’est glissé parmi ce petit comité…
Le salicylate de benzyle : le soleil en bouteille
Robert Ricci dira : “Il y a dans l’Air du Temps un petit miracle qui lui donne sa forte personnalité”. Ce petit miracle, c’est le salicylate de benzyle, une molécule de synthèse habituellement utilisé comme filtre UV et utilisée dans les crèmes solaires. C’est d’ailleurs la signature olfactive de l’Ambre Solaire de Garnier ! Vert et floral, le salicylate de benzyle fait chatoyer et rend aérien le sublime bouquet de Francis Fabron. Si cette molécule est de nos jours fréquemment utilisée en parfumerie, ce n’était pas le cas à l’époque de la sortie de L’Air du Temps.
Au-delà de son jus, comment parler de L’Air du Temps sans évoquer son flacon reconnaissable entre mille ?
L’intemporel flacon “deux colombes”
Saviez-vous que le parfum de Nina Ricci n’a pas toujours été contenu dans son iconique flacon aux colombes entrelacées ? Le tout premier habillage de la fragrance est conçu par le sculpteur espagnol Joan Rebull : ovale, en forme de soleil, un fil d’or autour du cabochon déjà gravé de l’oiseau porte-drapeau de la paix.
À l’époque, l’heure est à la sobriété et aux lignes épurées. L’historienne Élisabeth de Feydeau décrit “le modèle du flacon-amphore” à l’instar des courbes arrondies et minimalistes d’un Femme de Rochas ou de l’élégance tout en sobriété de Diorissimo. Mais en 1951, il plane un air de renouveau… Le flacon de L’Air du Temps se réinvente ! Deux colombes enlacées dans leur envol sont désormais sculptées et posées sur un flacon torsadé signé Marc Lalique (qui était déjà derrière le flacon de Cœur Joie). La rencontre entre les oiseaux apparaît comme une célébration d’amour, de paix et de liberté : les valeurs incarnées par la fragrance ne sont dorénavant plus portées que par le jus lui-même, elles sont aussi reflétées par son flacon et sa boîte d’un jaune solaire lumineux.
Pour Robert Ricci, “un parfum est une œuvre d’art, l’objet qui le contient doit être un chef-d’œuvre”. Nombreux s’accorderont à dire que le flacon de L’Air du Temps est bien à la hauteur de cette ambition. Ce petit bijou a conquis les cœurs au point d’être élu “Flacon de parfum du siècle” en 2000 et d’être revisité d’innombrables fois au fil du temps. Dans les années 90, les colombes sont tour à tour bleues, ambrées ou bien émeraude. En 2010, le designer Philippe Starck reloge la fragrance dans une unique aile en verre dépoli et à l’extrémité métallique. Il y a aussi la designer Olivia Putman qui repeint le flacon en bleu Klein en 2013, “comme le ciel et la mer qui évoquent infini et liberté”…
Un parfum passé à la postérité
L’Air du Temps a servi d’inspiration à de nombreux autres parfums.
- Avec L’Interdit (1957), Givenchy met en flacon un lumineux parterre de fleurs habillé d’une note de coriandre.
- Le bucolique Anaïs Anaïs (1979) de Cacharel n’est pas sans rappeler la tendresse absolue du parfum aux colombes.
- Bvlgari pour femme (1994) est quant à lui un bouquet de muguet, d’iris et de rose, là encore agrémenté de coriandre, mais aussi de poivre de Sichuan.
Un autre point commun entre ces exemples ? La présence du caractéristique accord œillet de L’Air du Temps !
Mais mettons de côté ses successeurs, ses rééditions et ses ré-interprétations : l’original de Francis Fabron demeure aujourd’hui culte. Ce n’est pas seulement sa fragrance aérienne qui a été et continue d’être célébrée ; c’est aussi l’insouciance des jours heureux et la paix retrouvée qu’elle et son écrin représentent.
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Crédits photos : Nina Ricci Officiel