La vanille, ingrédient phare en parfumerie
Parmi les matières premières les plus adulées en parfumerie, il y en a une capable d’exhiber tour à tour une innocence réconfortante et une sensualité sans égal : faites place à l’ensorcelante vanille, un ingrédient de circonstance, car c’est en août que sa récolte bat son plein. Vous allez le voir, la vanille n’a pas toujours accepté de livrer ses gousses tant convoitées aux parfumeurs… Master Parfums vous raconte.
Sur les traces de la vanille
Dans la mythologie du peuple amérindien Totonaque, la princesse Tzacopontziza, au service de la déesse de la récolte et de la nourriture Tonoacayohua, doit faire vœu de chasteté… mais voilà qu’elle et le prince Zkatan-Oxga tombent amoureux ! Alors que les tourtereaux s’enfuient pour vivre leur amour, ils sont rattrapés et sacrifiés. On raconte qu’à l’endroit de la forêt où leur sang est versé naît un arbuste autour duquel s’enroule une liane de vanille parée de petites fleurs étoilées…
Restons en Amérique centrale, où la vanille trouve ses racines. La vanille Bourbon, la variété star dont nous allons parler aujourd’hui, vient du Mexique. Au XVe siècle, les Aztèques élaborent le xocoatl, en náhuatl xoco (amer) et atl (eau), une boisson à base de fèves de cacao et agrémentée, vous l’aurez deviné, de vanille. Oui, il s’agit bien de l’ancêtre de notre chocolat chaud ! Si les Aztèques fabriquent le breuvage, faute de conditions climatiques adéquates pour pouvoir la cultiver, c’est chez leurs voisins les Totonaques qu’ils s’approvisionnent en vanille.
En 1519, quand les Espagnols posent le pied au Mexique, le conquistador Hernán Cortés est accueilli par l’empereur Moctezuma qui lui offre cette boisson en guise de bienvenue. Conquis Cortés rapporta en Espagne la recette mais également les ingrédients nécessaires à sa fabrication. Coup de cœur en Europe : le chocolat chaud fait fureur, et l’attention se porte sur la petite gousse aux riches arômes servant à le fabriquer.
Des fruits qui se font désirer
Au XVIIIe siècle, André Thouin, jardinier de Louis XIV, tente de cultiver le tout premier plant de vanille en France… mais pas un seul fruit à l’horizon. Friand de la petite gousse, le Roi-Soleil exporte la vanille sur l’île de la Réunion (à l’époque une colonie française appelée l’île Bourbon) dans l’espoir que le climat tropical fasse fructifier la fleur… sans succès. Les Totonaques auraient-ils un secret bien gardé ?
En fait, la fleur de vanille est hermaphrodite et ne peut pas se reproduire seule. Elle a besoin d’un coup de pouce, en l’occurrence, celui d’une petite abeille, la mélipone, qu’on ne trouve qu’au Mexique et aux Antilles, et qui n’est pas acclimatée à l’île Bourbon. C’est vraisemblablement l’impasse… enfin, c’était sans compter sur le génie d’un jeune esclave, Edmond Albius.
La découverte révolutionnaire d’Edmond Albius
En 1841, un jeune esclave réunionnais fait une découverte qui va chambouler le cours de l’histoire de la vanille. Alors qu’il n’a que 12 ans, Albius découvre que l’on peut polliniser manuellement l’orchidée planifolia et en développe la technique : il s’agit de faire la différence entre les organes mâles et femelles de la fleur et de les polliniser à l’aide d’une épine en bois en déchirant la membrane qui les sépare.
La technique, qui est toujours utilisée aujourd’hui, porte ses fruits et propulse l’île Bourbon au rang de chef de file en matière de production de vanille… d’où le nom de “vanille Bourbon” ! Madagascar a depuis pris le relais.
Aperçu botanique et aromatique
La gousse de vanille est le fruit d’une orchidée liane grimpante pouvant atteindre 30 mètres de hauteur, la seule orchidée au monde capable de produire un fruit que nous puissions nous mettre sous la dent. Pompona, de Madagascar, de Tahiti… Il existe pas moins de 110 espèces de vanille, mais la chouchoute aussi bien en cuisine qu’en parfumerie est la vanille planifolia, plus communément appelée vanille Bourbon. Son arôme est de loin le plus riche, le plus raffiné à la fois, et le plus persistant.
En parfumerie, la vanille Bourbon évoque des notes chaudes, chocolatées et crémeuses, mais ne se réduit pas pour autant qu’à son côté gourmand ! Elle sait aussi être tendre et enfantine, aérienne et poudrée, d’autres fois sensuelle et presque animale, se parant d’accents boisés, balsamiques, épicés ou cuirés. Sa présence peut aussi bien conférer de l’onctuosité et de l’opulence à une fragrance qu’adoucir des notes plus âpres et plus brutes.
La vanille est un ingrédient fétiche des notes de fond [lien article Notes de tête, de cœur et de fond en parfumerie], surtout dans les parfums orientaux-ambrés, étant capable d’y créer un sillage sans pareil… mais elle ne s’en invite pas moins dans des fragrances de toutes les autres familles et est aussi fréquemment travaillée comme note centrale.
La transformation de la vanille Bourbon
Les gousses de vanille Bourbon sont généralement cueillies au mois d’août, lorsqu’elles sont arrivées au stade dit “queue de serpent” : si environ 1 cm de leur extrémité a pris une couleur jaune, les gousses peuvent commencer le processus les conditionnant pour être utilisées comme matière première.
- Vient d’abord l’échaudage. C’est en ébouillantant les gousses dans de l’eau brûlante durant trois minutes qu’on active les enzymes révélant leur caractéristique arôme. Eh oui, à l’état naturel, les gousses sont inodores !
- Ensuite, c’est au tour de l’étuvage. Les gousses sont placées dans des couvertures en laine pendant trois jours, à la fois pour qu’elles perdent leur eau et conservent leur chaleur.
- Troisième étape : le séchage pendant plusieurs semaines, au soleil puis à l’ombre, pour éviter l’apparition de vilaines bactéries. C’est là qu’elles développent la jolie couleur d’un brun profond qu’on leur connaît.
- Il est temps de finir avec l’affinage en malle : on s’assure que les gousses sont bien sèches et on les place dans des caisses en bois ou en métal. Elles sont régulièrement contrôlées pour assurer leur bonne conservation, triées en fonction de leur taille et de leur couleur, et lissées à la main pour répartir leurs arômes qui ne cessent de se développer et de se renforcer pendant cette dernière étape.
Pour incorporer la vanille en parfumerie, on faisait autrefois macérer les gousses coupées en petits morceaux dans de l’alcool pour obtenir ce qu’on appelait une teinture de vanille. Cette technique est aujourd’hui tombée en désuétude et on lui préfère une extraction au solvant volatil pour tirer des gousses un riche absolu de vanille.
Mais voilà, le long processus pour que les gousses récoltées deviennent exploitables peut durer presque un an, et il a un coût : 1000 euros le kilo de gousses. Heureusement, les chimistes et les parfumeurs ont quelques solutions en poche.
Des alternatives synthétiques : la vanilline et l’éthylvanilline
La composante principale de la vanille qui lui donne sa senteur tant appréciée est la vanilline (c’est d’ailleurs la vanille Bourbon qui en contient le plus). Au XIXe siècle, même si on sait déjà l’extraire de la gousse, on s’attelle à la synthétiser afin de pouvoir profiter de son potentiel olfactif à moindre coût et plus rapidement. La vanilline naturelle est certes plus aromatique et nuancée, mais celle de synthèse est bien moins onéreuse. Aujourd’hui, la vanilline synthétique est l’arôme le plus fabriqué au monde !
La molécule d’éthylvanilline, elle aussi synthétisée au XIXe siècle, est aussi une alternative. Si elle est plus chère que la vanilline de synthèse, elle le reste toutefois moins que la vanilline naturelle. Plus gourmande et alimentaire, elle a une odeur quatre fois plus forte que celle de la vanilline de synthèse, ce qui permet d’en réduire la quantité utilisée.
Sélection de parfums vanillés
- Aimé Guerlain est le premier à faire usage de vanilline synthétique dans l’insaisissable Jicky (1889), une pluie d’aromates dont la vanille des notes de fond se marie à la perfection avec une note de lavande, de la coumarine et de la civette.
- Avec l’ultra-sensuel oriental Shalimar (1925), Guerlain inaugure sa Guerlinade : la légendaire base de parfum irisée et vanillée de la maison serait née après que la formule de Jicky eut été retravaillée et agrémentée d’une bonne dose d’éthylvanilline !
- Caron orchestre la rencontre entre vanille et lavande dans son classique aromatique Pour un homme (1934).
- On pourrait voir en Habit Rouge (1965), fragrance boisée et épicée de Guerlain, une sorte de Shalimar au masculin.
- Avec le désormais incontournable parfum pour femme Angel (1992) de Thierry Mugler, l’union entre la vanille et la molécule d’éthyl-maltol rappelle un délicieux caramel fondant sur un puissante boule de patchouli
- Dans Spiritueuse Double Vanille (2007) de Guerlain, une vanille en surdose devient liquoreuse au contact du rhum.
- Pour Essential Parfums, Olivier Pescheux signe Divine Vanille (2019) où la présence la belle se révèle moins gourmande , plus mystérieuse, soyeuse, teintée des accents abricotés et cuirés de l’osmanthus.
- Avec Velvet Tonka (2021), BDK Parfums, étoile montante de la parfumerie de niche, travaille l’absolu de vanille façon corne de gazelle aux côtés de la rose, de l’amande et de la fleur d’oranger.
Encore aujourd’hui, les armoiries de l’île de la Réunion arborent une liane de vanille et un message en latin gorgé d’espoir : Florebo Quocumque Ferar, “je fleurirai partout où je m’accrocherai.” Et comment ! Nous l’avons vu, en parfumerie, la vanille est aujourd’hui omniprésente, et pour cause : la versatilité de sa riche palette olfactive est inégalée.
Envie de découvrir d’autres ingrédients phares de la parfumerie ? C’est possible avec le jeu Master Parfums qui vous permet d’en apprendre plus sur ces matières et surtout, de les sentir grâce à ses crayons parfumés.