La note solaire en parfumerie
Ça y est, l’été est là ! Pour bon nombre, cela signifie prendre le chemin du bord de mer. À défaut de pouvoir vous poser les doigts de pied en éventail sur une plage de sable fin, bonne nouvelle : la parfumerie est là pour vous donner un coup de pouce. Une multitude de matières premières sont capables de recréer la sensation de la peau chauffée par le soleil sur une plage, et une en particulier y parvient avec brio : l’ylang-ylang, une fleur onctueuse et enivrante que Master Parfums vous propose aujourd’hui de découvrir.
Une fleur phare en Asie du Sud-Est
L’arbre de l’ylang-ylang est originaire de l’Asie du Sud-Est, principalement de l’archipel des Moluques dans l’est de l’Indonésie. Là-bas, “la fleur des fleurs” s’invite sur le lit des jeunes mariés le soir de leurs noces. Aux Philippines, on tresse les fleurs d’ylang-ylang avec des fleurs de jasmin sambac pour en faire des colliers dont on revêt les images religieuses. Il est aussi utilisé dans la pommade “boori-boori” : mélangé à de la noix de coco, on en tire une concoction destinée à nourrir la peau et les cheveux. En somme, difficile de trouver fleur plus appréciée que l’ylang-ylang dans la région.
Les années 60 voient l’essor de son utilisation au niveau international lorsque son huile essentielle devient de plus en plus prisée. En aromathérapie, on prête à l’ylang-ylang des qualités anti-stress, antiseptiques et sédatives. Du côté de la parfumerie, c’est notamment parce qu’il est le roi de la note solaire qu’on l’apprécie. Pour beaucoup, la note solaire vient titiller nos souvenirs et nous ramène à un produit bien précis qui fit fureur sur les plages dans les années 1930 : l’Ambre Solaire de Garnier.
L’Ambre Solaire, madeleine de Proust estivale
Avant le 20ème siècle, la peau blanche était l’apanage des riches, la peau halée étant un signe du dur labeur en plein air des paysans. Dans les années 20, c’est Coco Chanel qui va inverser la tendance. Sa vie luxueuse l’amène à passer ses week-ends en plein air, sur des bateaux, colorant sa peau de brune. La peau halée devient alors un signe de richesse et de belle vie. La légende raconte qu’en 1927, en voyant Coco Chanel rentrer d’un de ces weeks-ends en mer, la peau brûlée par le soleil, Jean Patou décide de créer la première huile solaire, conçue pour protéger du soleil tout en couvrant la peau d’un voile de couleur bronze, le “bronzage”. Il s’agit de l’huile de Chaldée, qu’Henri Almeras, le parfumeur de la maison Patou, pare de notes florales épicées, et enrichit en salicylate de benzyle, molécule découverte en 1908 et utilisée comme filtre solaire, pouvant absorber les UV.
Surfant sur l’engouement de cette huile, Eugène Schueller, chimiste et fondateur de L’Oréal, cherche aussi à créer un produit qui protégerait des vilains coups de soleil tout en permettant un bronzage en douceur. C’est ainsi que naît en 1935 l’Ambre Solaire, une huile de bronzage qui ne tarde pas à s’imposer en indispensable de sacs de plage, surtout à partir de 1936, année des premiers congés payés offrant la possibilité de s’octroyer des vacances ensoleillées en bord de mer.
À l’époque, le filtre solaire utilisé dans le produit de Garnier n’est autre que le fameux salicylate de benzyle, qui confère à l’Ambre Solaire sa signature olfactive si particulière !
Le salicylate de benzyle
Le salicylate de benzyle dégage des effluves floraux et épicés légèrement iodés et confère aisément de la lumière solaire aux compositions auxquelles il s’intègre. On le marie souvent à des notes florales ; dans l’Ambre Solaire, ce sont la rose et le jasmin.
Au fil des années, on se rend compte que le salicylate de benzyle n’est pas aussi efficace qu’on le croyait. La recherche ayant peu à peu développé de meilleurs filtres, L’Oréal le retire de son best-seller… et voilà que les ventes de l’Ambre Solaire dégringolent. Eh oui, la senteur de la molécule a alors durablement séduit les consommateurs. Ni une ni deux, l’entreprise retravaille la formule du produit afin d’y intégrer de nouveau le salicylate, une star finalement bien plus pour son odeur que pour ses propriétés anti-UV. Depuis, le salicylate de benzyle a définitivement posé ses valises dans le monde de la parfumerie.
Et l’ylang-ylang, dans tout ça ? Il se trouve que la composante la plus déterminante dans l’odeur de l’ylang-ylang n’est autre que… le salicylate de benzyle, qui y est naturellement présent ! On comprend alors mieux pourquoi la fleur est le choix par excellence des parfumeurs pour mettre en flacon les rayons du soleil (souvent main dans la main avec l’œillet, le tiaré et la fleur de frangipanier).
L’ylang-ylang : petit aperçu botanique
En tagalog, langue des Philippines, “ylang” signifie désert. C’est donc en référence à son habitat naturel que l’on connaît l’arbre, qui appartient à la famille des Annonacées et dont le nom latin est “cananga odorata”. Il peut mesurer jusqu’à 30 mètres de haut à l’état sauvage dans des conditions climatiques adéquates. Lorsqu’on décide de le cultiver, il est taillé pour que ses jolies fleurs odorantes soient plus accessibles lors de la cueillette, et sa hauteur se situe entre 2 et 3 mètres.
Les longs pétales effilés de la fleur, formant des grappes rappelant des étoiles, dégagent une fragrance dont il serait en effet bien dommage de se priver. Crémeuse et épicée, un poil fruitée, la fleur d’ylang-ylang rayonne, imprégnée de la lumière du salicylate de benzyle. C’est une fleur extravertie et séductrice avec une facette parfois quasi animale.
L’ylang-ylang en parfumerie
Le premier laboratoire de distillation d’ylang-ylang des Philippines voit le jour vers 1860. Peu après, la fleur commence à être cultivée à plus grande échelle et à trouver son chemin jusqu’aux parfumeurs français. La production d’ylang-ylang aux Philippines a cependant beaucoup décliné depuis et ses principaux producteurs sont aujourd’hui les îles Comores et Madagascar.
Les fleurs d’ylang-ylang peuvent être placées dans des alambics permettant d’en obtenir une belle huile essentielle. On parle de “fractions” d’essence, c’est-à-dire d’extraits à la densité et aux propriétés olfactives différentes. On distingue la fraction extra supérieure, l’extra, la première, la deuxième et la troisième. L’extra supérieure est plus riche et plus fruitée que ses congénères, et plus on descend dans la liste, moins les fractions sont intenses… ce qui les rend en contrepartie plus fraîches. Seulement 40 à 50 kilos de fleurs sont nécessaires pour obtenir un kilo d’huile essentielle et l’ylang-ylang fleurit plusieurs fois par an. Ce qui en fait une championne en termes de rendement, et la matière du parfumeur produisant le plus d’huile essentielle.
On peut également extraire de l’ylang-ylang un magnifique absolu, plus capiteux que l’huile essentielle et dont les notes épicées sont encore plus prononcées. Il faut compter pas moins de deux tonnes de fleurs pour obtenir un kilo d’absolu.
Quelques parfums autours de l’ylang-ylang
- Il y a bien sûr l’indémodable N°5 (1921) de Chanel et son mariage entre des aldéhydes et un sublime absolu d’ylang-ylang.
- Dans l’emblématique L’Air du Temps (1948) de Nina Ricci, premier floral-épicé de la parfumerie, l’ylang-ylang se love au sein d’un magnifique bouquet sublimé par le salicylate de benzyle.
- Avec Mayotte (2006) de Guerlain, tubéreuse, ylang-ylang et jasmin composent le cœur de cette réédition de la fragrance Mahora. Une touche de frangipanier et de néroli ouvre le bal, le tout enveloppé par un fond vanillé.
- Le lumineux et balsamique Songes (2006) d’Annick Goutal allie l’ylang-ylang à la vanille de Bourbon. D’autres fleurs font vivre la note solaire : frangipanier, tiaré et jasmin.
- En 2013, Olivier Pescheux signe Eau Mohéli pour Diptyque. Dans cette eau de toilette florale aux accents verts et épicés, gingembre et poivre rose vont à la rencontre d’un suave ylang-ylang.
- Du côté d’Embruns d’Ylang (2019) de Guerlain, de la cannelle et du clou de girofle exaltent le côté naturellement épicé de l’ylang-ylang tandis que du lait de coco et de la vanille font prendre un coup de soleil à la fragrance.
- Avec La Dompteuse Encagée (2021) de Serge Lutens, l’ylang-ylang côtoie une facette amandée appuyée par la fleur de frangipanier.
- Dans Infusion d’Ylang (2022) de Prada, la fleur reste solaire, mais est toutefois plus voilée et transparente qu’à l’accoutumée. C’est un parfum vert et fruité, avec un évocateur accord de banane et de jasmin.
Pot-pourri d’autres notes estivales
L’ylang-ylang n’est évidemment pas le seul à avoir le pouvoir de nous faire prendre des vacances en un coup de nez. On peut aussi compter sur…
- D’autres fleurs blanches : fleur d’oranger, jasmin, tubéreuse, fleur de frangipanier, tiaré… L’ylang-ylang fait d’ailleurs souvent penser au monoï, une huile obtenue après la macération de tiaré dans de l’huile de noix de coco. Ce sont les grandes favorites lorsqu’il s’agit de travailler la sensation solaire en parfumerie.
- Les hespéridés : bergamote, pamplemousse, citron, néroli… Le peps des agrumes a le don de nous transporter sur la côte méditerranéenne en un claquement de doigts.
- Les notes marines : aussi appelées notes aquatiques, leur parfum iodé peut être obtenu par la synthèse avec des molécules comme la calone ou l’hélional, mais il existe aussi des notes aquatiques naturelles, issues, par exemple, de certaines algues.
- Les notes fruitées : grâce à la synthèse, des odeurs de fruits exotiques tels la noix de coco, la mangue, l’ananas ou la banane s’invitent sur notre peau… Dépaysement garanti.
Quelle que soit votre destination cet été, pourquoi ne pas continuer votre voyage olfactif avec la version Pocket Quiz du jeu Master Parfums ? Le Pocket Quiz, ce sont 120 questions sur l’univers de la parfumerie et un format de poche qui vous permettra de l’emporter avec vous où que vous alliez… même à la plage !
Autres sources consultées :
- L’Ylang-ylang en parfumerie – Cahiers des naturels NEZ-LMR