Les notes gourmandes en parfumerie
Un bonbon ou un sort ? Halloween approche et avec lui, les petits paniers en forme de citrouille des plus jeunes ne vont pas tarder à se remplir de bonbons multicolores. Avis aux becs sucrés en manque de friandises : Master Parfums vous propose d’explorer la famille des parfums gourmands et ses notes sucrées les plus emblématiques, toutes plus alléchantes les unes que les autres.
Les familles olfactives en parfumerie
En 1984, la Société Française des Parfumeurs dévoile une classification des parfums en différentes familles en fonction des matières premières employées dans leur composition. On distingue également diverses facettes à l’intérieur même de ces familles, des facettes qui viennent nuancer l’identité du parfum. Par exemple, on dira sans aucun doute d’une fragrance mettant à l’honneur le santal qu’elle fait partie de la famille boisée. Elle est saupoudrée de cardamome, de muscade ou encore de poivre ? On parlera alors de boisé-épicé. Ce sont la lavande, le romarin ou bien le thym qui s’y invitent ? Bingo, nous avons affaire à un boisé-aromatique.
Dès le début du XXème siècle, quelques molécules aux notes vanillées (vanilline), ou fruitées comme la pêche (aldéhyde C14) ), ou la prune (prunol de De Laire), apportent un nouvel effet de rondeur aux parfums, mais on ne parlait pas encore de gourmandise telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le terme “gourmand” a d’abord désigné une facette olfactive, puis avec la vague de parfums sucrés à souhait lancés à partir des années 90, on l’utilise aujourd’hui pour désigner une famille à part entière.
La famille olfactive gourmande
Si dans les années 70, la tendance est aux compositions florales, vertes et chyprées rimant avec fraîcheur et élégance, à pas de loup, des fragrances vanillées commencent à insuffler un vent chaleureux de renouveau sur le paysage olfactif de l’époque. C’est notamment le cas de celles de Guerlain, maison pionnière dans la création de parfums gourmands. Impossible de ne pas mentionner la Guerlinade : cette base parfumée née en 1921, composée de vanille, de bergamote, d’iris, de rose, de fève tonka et de jasmin, deviendra la signature olfactive de nombreux parfums de la marque.
La révolution gourmande des années 90 démarre avec Angel de Thierry Mugler. À sa sortie en 1992, cette fragrance déroutante jamais sentie, a du mal à faire sa place. On n’avait pas l’habitude de mettre autant de “sucre” sur sa peau.
Mais les effluves gourmands finissent par être addictifs et à l’approche du nouveau millénaire, on aime se se cocooner dans des parfums aux senteurs régressives.
Son overdose de patchouli, ses fruits rouges et sa vanille caramélisée ainsi que sa célèbre molécule d’éthyl-maltol évoquant la barbe-à-papa et le praliné ensorcellent, et dans son sillage se bousculent alors de plus en plus de parfums sucrés aux notes dont on a envie de ne faire qu’une bouchée. Et ce parfum choc désormais passé à la postérité devient le chef de file d’une nouvelle famille olfactive: Les gourmands. Une vague de fragrances aux notes alléchantes, à la fois nostalgiques et sexy, déferle dans nos parfumeries…
Dans la famille gourmande, je voudrais…
La vanille
S’il y a bien une note que l’on pourrait qualifier d’indémodable, c’est la vanille. Les variétés de vanille ont beau être plus d’une centaine, rien n’y fait, la préférée des parfumeurs reste la vanille Bourbon, car ses arômes sont simultanément incroyablement riches et raffinés. En parfumerie, elle sait aussi bien être crémeuse et balsamique qu’éthérée et poudrée, se voulant souvent sensuelle et presque animale, d’autres remplie de tendresse, comme une caresse.
Si les parfumeurs peuvent avoir recours à un bel absolu de vanille, les prix onéreux des gousses de vanille ont démocratisé le recours aux notes synthétiques de vanilline et d’éthylvanilline (bien que l’on puisse obtenir la première naturellement). La vanilline synthétique est utilisée pour la toute première fois au milieu de la foule de notes aromatiques de Jicky (1889). Toujours chez Guerlain, le voluptueux Shalimar (1925) sonne le coup d’envoi de la Guerlinade… qui serait d’ailleurs née après avoir retravaillé Jicky en lui ajoutant de l’éthylvanilline ! Bien sûr, la vanille rayonne également dans Angel.
La guimauve
Saviez-vous qu’avant d’être le bonbon Chamallows de Haribo, la guimauve est une plante provenant de zones humides de Chine, de Russie et d’Europe ? Ce ne sont pas ses feuilles ou ses fleurs qui nous intéressent ici… ce sont ses racines ! En effet, les racines de la guimauve sont riches en mucilage, une matière visqueuse à partir de laquelle on fabriquait la fameuse confiserie aux allures de petit nuage poudré.
La guimauve, en confiserie comme en parfumerie, est aérienne et moelleuse, avec une touche de vanille. Pour la mettre en flacon, on peut se tourner vers la synthèse ou bien vers un accord vanille-fleur d’oranger, présent notamment dans le magnifique poudré L’Heure Bleue (1912) de Guerlain. Citons également le douillet Mademoiselle Guerlain (2014) avec son iris et ses muscs blancs, Quatre en Rouge (2019) de Boucheron, une fragrance fruitée aux allures de pomme d’amour, ou encore Divin’Enfant (2006) d’État Libre d’Orange où la guimauve flirte avec l’amertume du café, du cuir et du tabac.
L’amande
En parfumerie, l’amande rappelle le massepain et la frangipane, et peut évoquer la cerise ou l’amaretto. S’il est impossible d’extraire une essence de l’amande elle-même, on peut obtenir par hydrodistillation de noyaux d’abricots ou de prunes une huile essentielle contenant du benzaldéhyde, un composant olfactif à l’odeur d’amande amère… mais attention : c’est une matière première délicate à travailler à cause de l’acide cyanhydrique qu’elle contient, un composé hautement toxique qu’il faut retirer.
La fève tonka vient alors à la rescousse : il s’agit d’une petite graine dont le principal composant olfactif, la coumarine, exhibe des facettes de tabac, de pain d’épices… et d’amande ! Du côté des molécules de synthèse, les parfumeurs peuvent compter sur la coumarine de synthèse, certes, mais aussi sur l’aldéhyde benzoïque, l’aldéhyde anisique et l’héliotropine – cette dernière est naturellement présente en petite quantité dans la fleur de violette.
En 2007, L’Instant Magic de Guerlain est un des premiers parfums à faire la part belle à l’essence d’amande amère qui y côtoie vanille, muscs et bois. La présence de l’amande teinte le charnel Hypnotic Poison (1998) de Christian Dior d’un peu de douceur tandis que dans La Petite Robe Noire (2012), elle dévoile sa facette cerise la plus élégante, déjà annoncée par la griotte de ses notes de tête. On la retrouve également dans le sulfureux Black Opium (2014) d’Yves Saint-Laurent, La Vie est Belle (2012) avec son iris gourmand, ou encore Un Bois Vanille (2003) de Serge Lutens du côté de la parfumerie de niche. Prada lui dédie une de ses belles infusions.
Le caramel
Qu’elle croque sous la dent ou reste au contraire collée à nos quenottes, cette confiserie incontournable originaire de Bretagne a elle aussi déboulé dans le paysage de la parfumerie avec la sortie d’Angel. Les effluves chaudes et sirupeuses du caramel doivent être obtenues par synthèse : éthyl-maltol, furanéol, sacrasol ou coumarine, les molécules se bousculent pour faire revivre la caractéristique odeur de sucre brûlé, vanillé et lacté d’un caramel doré. Suave et balsamique, le caramel est une note incroyablement régressive.
Pour le retrouver en flacon, outre dans l’incontournable Angel de Mugler, on pense à Scandal (2017) de Jean-Paul Gaultier et à son caramel salé enrobé de miel, à Luna (2016) de Nina Ricci où il se faufile entre des fruits rouges et de la poire, ou à Alien Le Goût du Parfum (2011) de Thierry Mugler, une réinterprétation on ne peut plus charnelle de l’original sorti en 2005, où le bonbon révèle un magnifique cœur de bois de cachemire.
Le cacao
Les fèves de cacao sont décidément partout : on peut s’en délecter dans nos tablettes de chocolat, mais aussi sur notre peau ! Très versatile, le cacao sait aussi bien être une note doudou et lactée qu’une note animale et sensuelle. C’est une habituée des notes de fond, main dans la main avec la vanille, des muscs et des bois pour une sensualité garantie. On peut recueillir ses riches arômes naturellement avec un absolu de poudre de cacao, mais aussi le suggérer, par exemple à travers des muscs, du patchouli et de la fève tonka, ou l’obtenir à l’aide de bases synthétiques comme le chocovan et les pyrazines.
Dans Pure Poison Élixir (2006) par Christian Dior, un absolu de cacao ambré est mêlé à du jasmin et de la fleur d’oranger. Dans L’Instant de Guerlain pour homme (2015), le cacao côtoie un mélange (d)étonnant de thé, de résine et d’épices. Dark (2018) d’Akro, la marque du parfumeur Olivier Cresp, emmène son cacao à la rencontre de cannelle et de noisette et dans Vanilla Diorama (2021), il est baigné dans du rhum et rehaussé d’une pointe de poivre rose.
La fève tonka
Nous l’avons déjà mentionnée plusieurs fois au cours de cet article : la fève tonka est une petite graine noire issue d’un tek d’Amérique du Sud. Une fois tombés, les fruits de l’arbre sont mis à sécher pendant un an, puis, on les casse afin d’en extraire les pépins… qui sont en fait les fèves tonka, que l’on fait macérer dans du rhum une journée entière avant de les sécher. C’est durant de ce processus que se forment de petits cristaux sur la surface de la fève tonka : il s’agit de la coumarine, sa composante principale et celle qui lui donne sa caractéristique senteur amandée aux accents de foin. Une fois les fèves transformées en absolu, elles se veulent alors plus chaudes et baumées, rappelant le tabac.
Un des tout premiers parfums à étrenner la fève tonka sous forme de coumarine synthétique est Jicky – la vanilline de synthèse ne lui avait pas suffi ! Rappelons aussi que la fève tonka est un des ingrédients de la Guerlinade. Au fil du temps, elle est devenue une note fétiche de la maison Guerlain : il y a Shalimar, mais aussi Samsara (1989), Insolence (2006), le magnétique Tonka Impériale (2010)… Bois Doré (2017) de Van Cleef & Arpels et Tobacco Vanille (2007) de Tom Ford allient quant à eux leur fève tonka à l’arôme boisé du tabac, et Tonka Blanc (2022) de L’Artisan Parfumeur est pour le moins surprenant, car au milieu d’une fève amandée et rafraîchie d’agrumes, voilà que s’immisce… le chou-fleur !
Le mot de la faim
Impossible de toutes les citer : miel, dragée, confiture de lait, réglisse… Les notes gourmandes n’en ont pas fini d’attiser à la fois nos papilles et nos narines. Depuis Angel, la barbe à papa continue de fondre sur notre peau ; c’est par exemple le cas dans Sundazed (2019) de Byredo. Les lactones sont quant à elles une famille de molécules capables de reproduire le doux réconfort vanillé du lait chaud ; Le Feu d’Issey d’Issey Miyake est la première fragrance à les utiliser en 1998. Les notes fruitées, majoritairement obtenues à travers la synthèse, sont aussi légion dans les parfums gourmands.
En parlant de fruit, à l’occasion d’Halloween, pourquoi ne pas oser… la citrouille ? Pas de frayeur à avoir : son aspect doucement fruité et onctueux en fait l’allié des fleurs blanches et son côté boisé, celui des épices. L’eau de parfum Fabulous Me (2019) de Paco Rabanne emmène sa citrouille à la rencontre de la rhubarbe dans un cocon de vanille amandée, tandis qu’État Libre d’Orange accompagne l’accord de potiron velouté de Like This (2010) d’immortelles et d’épices.
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