La famille olfactive des floraux
Cette année, le 20 mars sonne le coup d’envoi du printemps. Ce qu’on sait moins, c’est que le jour suivant, c’est la Journée mondiale du parfum ! Une alliance parfaite, car le printemps marque le retour de nombreuses fleurs – et existe-t-il une famille olfactive plus célébrée en parfumerie que celle des parfums fleuris ? Pour bien démarrer la saison, Master Parfums vous emmène à la découverte de cette famille olfactive qui semble indétrônable.
La famille olfactive florale, la reine de la parfumerie
Hespéridée, florale, fougère, chyprée, boisée, ambrée-orientale et cuirée : voilà les sept familles olfactives établies par la Société Française des Parfumeurs. Si cette classification, mise au point au début du 20ème siècle par des parfumeurs, a évolué au gré des époques et des développements de la parfumerie, le fait de distinguer les fragrances en fonction de leurs caractéristiques olfactives a révolutionné le secteur , permettant de mieux naviguer dans un marché débordant de créativité et toujours plus compétitif.
S’il y a bien une famille de parfums qui continue de faire fureur décennie après décennie, c’est la famille florale. Elle a parfois souffert d’être perçue comme un peu has-been et n’a eu de cesse de riposter en se réinventant continuellement, au point de devenir indémodable. Les fleurs ayant historiquement longtemps été vues comme l’incarnation de la féminité à l’état pur, c’est sans surprise que la famille les mettant à l’honneur domine le marché du parfum féminin. Mais qu’à celà ne tienne, les fleurs s’invitent aussi dans les parfums masculins et les parfums non genrés. Après tout, pourquoi se priver arbitrairement d’une richesse olfactive comme celle que la famille florale a à nous offrir ?
Ingrédients et facettes à foison
Les espèces de fleurs se comptent en centaines de milliers – difficile, donc, de nommer toutes les notes qui peuplent la famille des parfums floraux ! On peut toutefois souligner celles qui ont souvent le premier rôle.
Vous l’avez sans doute deviné, la palme revient haut la main à la rose, cette délicate fleur, symbole de l’amour par excellence, capable de revêtir mille visages. La fleur d’oranger fait aussi preuve d’une versatilité étonnante, tout comme ses consœurs fleurs blanches le jasmin et la tubéreuse, tour à tour délicates et charnelles. Dans le registre poudré, la violette, l’iris, l’héliotrope ou encore le mimosa nous font souvent les yeux doux ; l’ylang-ylang, la fleur de frangipanier et celle de tiaré sont les meilleures alliées des parfumeurs et des parfumeuses s’aventurant en terrain solaire.
On appelle soliflore une fragrance dans laquelle une fleur en particulier est traitée comme personnage principale de l’oeuvre, et inversement, on parle de “bouquet” lorsqu’une horde de fleurs s’invite dans un parfum. Dans chaque famille olfactive, on distingue également des facettes, sortes de sous-catégories olfactives qui viennent affiner l’identité d’un parfum, car une fragrance n’est rarement que florale, purement boisée ou 100% gourmande !
Des facettes qui viennent habiller la famille florale sont…
- La facette fruitée : cerise charnue, abricot jaune ou poire juteuse, la synthèse permet aux fruits d’apporter ou d’appuyer une touche sucrée dans un parfum fleuri ;
- La facette aldéhydée : elle est incarnée avec excellence dans le somptueux Chanel N°5, un mariage entre jasmin, rose, ylang-ylang et ces fameux aldéhydes, des molécules de synthèse à l’odeur froide et métallique qui ont le pouvoir de sublimer un bouquet ;
- La facette boisée : santal, cèdre ou encore patchouli permettent d’envelopper de chaleur et de souligner l’élégance et le caractère. ;
- La facette épicée : elle joue avec des fleurs dites épicées comme l’immortelle, le lys, ou l’œillet, ou bien avec des notes telles le poivre (une épice fraîche) ou le clou de girofle (une épice chaude).
…Et bien plus encore ! Un parfum fleuri peut aussi exhiber des facettes plus aquatiques, vertes, poudrées, ambrées, cuirées et même gourmandes.
Pour accueillir le printemps comme il se doit, zoom sur quelques fleurs qui ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez…
Petite sélection de fleurs printanières
La rose
Ce serait presque un sacrilège que de parler de la famille des fleurs sans nous arrêter sur la rose. Devenue l’un des emblèmes de la région de Grasse, la rose centifolia ou rose de mai, (l’une des deux roses majoritairement utilisées en parfumerie avec la roseDamascena, rose de Damas) dégage un parfum aussi subtil que majestueux, vert et riche, aux occasionnels surprenants accents de litchi.
Lorsqu’il s’agit de capter les doux arômes de la rose centifolia pour la parfumerie, la méthode d’hydrodistillation dont on obtient une essence offre un rendement trop faible pour ce qu’elle coûte. Il faut donc opter pour l’extraction aux solvants volatils, permettant l’obtention d’un bel absolu de rose mêlant facettes terreuses et miellées, fruitées, voire un peu épicées.
Dans Rose Centifolia Extrait de Guerlain (2023), Delphine Jelk et Thierry Wasser révèlent l’éclat de la majestueuse rose de Grasse, si délicate et si puissante.
Le narcisse
Il existe 22 variétés de cette jolie fleur bicolore. Si le narcisse des champs reste le favori des parfumeurs. Il est l’une des rares fleurs sauvages à être utilisée en parfumerie ! Le narcisse est un habitué de la famille olfactive florale, mais aussi de la famille chyprée. À partir de ses fleurs, il est possible d’extraire un absolu au coeur floral et épicé, aux facettes herbacées et terreuses, reposant sur un fond animal et miellé.
Dans Narcisse Noir de Caron (1911), Ernest Daltroff avait eu le génie et l’audace de créer une ôde à cette fleur sans aucun narcisse dans la formule! Puissant et animal, il est devenu une icône olfactive. Plus récemment, (2018) Anne Flipo a admirablement traduit le côté sauvage de la fleur dans Mont de Narcisse, pour L’Artisan Parfumeur.
Le magnolia
Cette fleur de Chine est l’une des plus anciennes plantes de la planète. Elle dégage un parfum vert, fleuri et très raffiné, et rappelle celui du jasmin. Le magnolia est léger et lumineux, certes, mais il ne s’interdit pas pour autant d’être plus sensuel en jouant sur son côté crémeux. Il peut aussi faire penser à un fruit cireux et citronné légèrement vanillé !
Voilà en somme un parfum complexe, souvent recréé en parfumerie par des accords de matières naturelles et d’ingrédients de synthèse. Car s’il est possible d’extraire du magnolia une huile essentielle par distillation, le rendement est très faible, donc très onéreux. On peut aussi extraire une huile essentielle de ses feuilles et de sa tige : le parfum obtenu sera alors plus herbé et aromatique
Dans Blanc de Chine, de Parfumeurs du monde, Patrice Revillard rend hommage à la belle blanche, en glorifiant ses facettes sans une once de magnolia, et en réalisant la prouesse de ne composer qu’avec des matières 100% naturelles! Un résultat magnifique d’une troublante sensualité
Le lilas
En lisant le nom de cette fleur printanière, vous avez sans doute imaginé de jolis pétales mauves dans des tons pastel… Pastel, c’est aussi comme cela que l’on pourrait qualifier l’odeur du lilas : son parfum est poudré et anisique, très romantique, et fait penser au mimosa (une autre fleur poudrée) ou au muguet.
Quand vient le moment de capturer le parfum du lilas pour la parfumerie, les choses se compliquent, car c’est une fleur muette, une fleur qui refuse de livrer son parfum à travers la distillation ou l’extraction aux solvants volatils ! Avec ces fleurs, la technique de l’enfleurage est parfois utilisée, tout comme celle du headspace : cette méthode vise à capturer les molécules odorantes d’une matière première en la plaçant sous une cloche remplie d’un gaz qui va recueillir les molécules en question, afin de les identifier et de les reproduire. Le plus souvent, on compte sur des combinaisons d’autres matières premières et sur l’utilisation de molécules de synthèse pour donner vie à l’odeur de ces fleurs qui, comme le lilas, se font désirer.
Dans En passant (2000) des Editions de parfum Frédéric Malle, Olivia Giacobetti fait revivre les sensations du printemps apportées par un grand vent de lilas.
La violette
En parfumerie, c’est la violette de Parme qui est la plus utilisée. C’est une fleur au parfum très doux, subtilement vert … mais elle aussi se livre difficilement aux parfumeurs et parfumeuses, pour qui la synthèse est alors la meilleure alliée. Pour recréer le parfum de la violette, on utilise fréquemment deux types de molécules : les ionones et les méthylionones. Douce et rassurante, elle se fait bonbon dans la Violette de Goutal (2001)par Isabelle Doyen et Camille Goutal, plus audacieuse et sensuelle dans Insolence de Guerlain, et délicate et romantique dans Paris de d’Yves St Laurent.
En parfumerie, les feuilles de la violette sont bien plus travaillées que ses fleurs : il est possible d’en extraire un absolu intense, vert et aqueux, un peu terreux, évoquant la rosée fraîche du matin ou la saveur d’un concombre fraîchement pelé.
La feuille de violette a créé la surprise en apportant son insouciance et sa fraîcheur au masculin Fahrenheit de Dior (1988) par Jean-Louis Sieuzac, Michel Almairac et Maurice Roger.
Quelques autres parfums fleuris iconiques
- Avec l’opulent Chanel N°5 (1921), Ernest Beaux signe un parfum révolutionnaire. La danse entre rose de mai, ylang-ylang et jasmin est magnifiée par une envolée d’aldéhydes, la signature olfactive de cette fragrance désormais cultissime.
- Jacinthe, rose de Bulgarie et lilas sont quelques-unes des fleurs peuplant l’exubérant Nahema (1979) de Guerlain, entre une ouverture d’aldéhydes et sur fond de vanille chaude et sensuelle.
- Paris (1983) d’Yves Saint Laurent scelle le mariage somptueux de la rose et de la violette. Une ribambelle d’autres fleurs, une touche épicée de clou de girofle et un fond boisé viennent sublimer ce chef-d’œuvre de la parfumeuse Sophia Grojsman.
- L’élégant J’Adore (1999) de Dior est un bouquet floral construit autour d’un accord de tubéreuse et de jasmin, de rose et de violette, le tout accompagné d’une note délicieuse de prune confite ainsi que de bois de santal et de muscs enveloppants.
- L’Air du Temps (1948) de Nina Ricci sonne le coup d’envoi des parfums floraux-épicés : rose centifolia, jasmin de Grasse et violette poudrée nous font vibrer, mais c’est l’accord œillet-gardénia de la fragrance qui fait toute sa force.
- Du côté de la parfumerie de niche, Annick Goutal nous offre aussi Le Chèvrefeuille (2002) : la fleur éponyme rencontre le narcisse dans ce doux parfum vert ponctué de petit-grain créé par Camille Goutal et Isabelle Doyen.
- Dans L’Instant de Guerlain (2003), ylang-ylang, magnolia crémeux et miel d’oranger sucré donnent vie à une sublime fragrance florale et ambrée réinterprétant la Guerlinade, fameuse base parfumée et signature olfactive de la maison.
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Joyeux printemps à tous 🌸